«Quand la Suisse humanitaire vole en éclats»
Au moment où j’écris, près de 40’000 Gazaoui·es ont été tué·es, victimes d’une répression armée dont la violence marque un changement de paradigme mondial. Rafah et les camps humanitaires de l’UNRWA, seules zones désignées comme «sûres», sont bombardées, malgré l’ordre de la Cour internationale de justice (CIJ) de cesser immédiatement l’offensive. Peut-on encore croire à la prétendue volonté d’épargner les vies civiles? Dans ces conditions, le sifflement des bombes n’est-il pas en réalité l’annonce de l’extermination des civils palestiniens?
«Il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant la commission d’actes de génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza a été atteint.»En mars, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale aux questions palestiniennes en territoires occupés, terminait ainsi son rapport sur les exactions commises par le gouvernement Netanyahu. La réponse suisse? Reconnaître à Israël «son droit à la légitime défense» sans jamais condamner les actes de déshumanisation commis par les colons israéliens et refuser d’octroyer à la Palestine le statut de membre de l’ONU, et donc d’Etat. Avant de couper le financement prévu à l’UNRWA «le temps d’analyser en détail» le rapport d’enquête Colonna publié fin avril, qui blanchit l’agence onusienne de collaboration dans les attentats. Aujourd’hui pourtant, face à un risque avéré de génocide, le peuple palestinien n’a pas «le temps».
Contraint de collaborer avec l’UNRWA à la suite des conclusions d’un rapport1>RTS, 17 déc. 2020, tinyurl.com/3e285hh8 disculpant l’agence, Ignazio Cassis avait déjà déclaré en 2018 que l’organisation faisait «partie du problème»2>Swissinfo, 17 mai 2018, tinyurl.com/4nzmauax. Aucune surprise donc que le chef du DFAE décide arbitrairement d’ignorer le rapport Colonna. Ce n’est pas un positionnement étatique qui est défendu, mais une vendetta personnelle. Une position qui reprend mot pour mot la propagande du gouvernement Netanyahu et celle de la majorité bourgeoise du parlement à Berne, dont beaucoup demandent la suppression totale du financement suisse à l’UNRWA.
A ce jour, il n’y a plus assez de mots pour dire l’horreur. Nos yeux ne peuvent oublier ce père tenant le corps décapité de son bébé, les corps calcinés, les flammes, les cris, la terreur… et le silence suisse. Silence malgré le risque d’accusations de complicité de génocide qui pourraient être lancées à son encontre par la CIJ. Véritable coup de grâce pour la tradition humanitaire suisse.
Quant à sa neutralité, elle volerait définitivement en éclats. Il est temps que la Suisse prenne ses responsabilités et conscientise la violence des doubles standards de sa politique extérieure.
Défendre le peuple palestinien n’est pas antisémite, tout comme ce n’est pas soutenir le peuple d’Israël que de s’aligner sur son gouvernement d’extrême droite. Il est essentiel que le judaïsme ne soit nulle part associé aux politiques du gouvernement israélien actuel. Ce autour de quoi nous devrions nous unir est un sentiment d’inséparabilité morale entre les luttes contre l’antisémitisme, contre le racisme, et pour la liberté de tous les peuples.
La Suisse a très justement condamné les attentats du Hamas du 7 octobre qui ciblaient délibérément des civils. Pourquoi cette lâcheté dans la condamnation des bombardements de Netanyahu, d’une ampleur sans égale, qui ont déjà tué près de 2% de la population de Gaza? Le droit international humanitaire est jeté dans un gouffre, notre humanité avec lui, nous laissant assister béatement à un massacre que nous, citoyen·nes, ne pouvons stopper.
Face à la manifeste incapacité des politiques de répondre à ce nettoyage ethnique, toutes les voix qui s’indignent contre ce monde qui se laisse sombrer sont légitimes, et essentielles, car elles ouvrent des brèches rendant le rêve de justice encore possible. De la rivière à la mer, la tâche de la communauté internationale est d’exiger un cessez-le-feu et de libérer le peuple palestinien vivant sous occupation, à la merci d’un gouvernement et de colons meurtriers agissant dans l’impunité. C’est l’unique possibilité pour la Palestine de mettre en œuvre son droit à l’autodétermination et de choisir sa forme d’unité politique, dans le respect du droit international et surtout des droits humains.
Notes
Marius Diserens est conseiller communal vert à Nyon.