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L’UDC ou la peur du nombre

L’IMPOLIGRAPHE

L’initiative de l’UDC contre «une Suisse à dix millions d’habitants» a été déposée le 3 avril. De quoi a-t-elle peur et de quoi veut-elle faire peur, l’UDC? D’un chiffre ou de ce qu’il désigne? Ce qui de toute évidence lui pose problème, ce ne sont pas les dix millions d’habitant·es que la Suisse abritera dans dix ou vingt ans, ce sont parmi eux les millions d’immigrant·es et d’enfants d’immigrant·es.

Ce sont d’eux dont elle ne veut pas, et non d’une «Suisse à 10 millions d’habitants» à laquelle on arrivera quand même (on en est déjà à neuf millions), elle n’y peut rien l’UDC… et même, elle le sait parfaitement. Comme elle sait parfaitement que fermer les frontières à l’immigration légale, c’est la remplacer par l’immigration illégale. Comme en Grande-Bretagne après le Brexit.
L’UDC, veut faire croire (y croit-elle seulement elle-même?) qu’on va régler tous les problèmes en fermant les frontières: la crise du logement, la baisse du niveau de vie, l’insuffisance des transports publics, la hausse des primes d’assurance-maladie, l’engorgement des services sociaux, la criminalité, les atteintes à l’environnement, la fermeture des Jouets Weber et de la Gaîté…

Or face à chacun de ces problèmes, elle fait quoi, l’UDC? Elle refuse la 13e rente AVS et le plafonnement des primes d’assurance-maladie, elle combat le salaire minimum, s’attaque aux droits des locataires et fait des cadeaux fiscaux aux multinationales et aux cadres richement payés qu’elles importent… Elle cherche quoi, l’UDC, avec son initiative (à supposer qu’elle cherche autre chose qu’à papouiller son électorat dans le sens du poil)? A fermer les frontières à l’immigration légale pour encourager l’immigration illégale? A dénoncer l’accord de libre circulation pour remplacer des travailleuses et travailleurs étrangers résidents par des frontalières et des frontaliers?

L’initiative udéciste est dans l’air vicié du mauvais temps: un pseudo écologisme mâtiné de malthusianisme proclame que «nous sommes trop nombreux» («nous» étant les humains – sauf évidemment ceux qui proclament que «nous» sommes trop nombreux: ce sont toujours les autres qui sont de trop), que nous allons épuiser les possibilités naturelles de la planète, que la population augmente plus vite que les ressources, que si l’augmentation de la population épuise les ressources, la catastrophe finale est programmée.

Mais ce raisonnement calamiteux repose sur une hypothèse contestable et une évidence niée. L’hypothèse contestable (comme toute hypothèse), c’est celle de l’accroissement continu de la population humaine, au moins jusqu’aux 10 milliards d’habitants annoncés par l’ONU pour 2050 (soit deux milliards de plus qu’en 2020). Et l’évidence niée, c’est que ce n’est pas d’être trop nombreuse que la population humaine va souffrir – et faire souffrir l’écosystème terrien – mais, pour une grande partie d’entre elle, d’être trop pauvre, et pour une autre (la nôtre…), de trop et trop mal consommer de ressources non renouvelables.

«Qui veut d’une Suisse à 10 millions d’habitants?», s’interrogeait-elle déjà l’année dernière à propos de la «libre circulation». Sur le même ton, et sachant que l’équilibre des générations en Suisse n’est à peu près supportable que grâce à l’immigration, et qu’hôpitaux et EMS ne fonctionnent que grâce à leurs salarié·es immigré·es, on se demandera «qui veut une Suisse de quatre millions d’habitants de plus de 80 ans torchés par 200 000 sans-papiers et 200 000 frontaliers?» La Suisse à 10 millions d’habitants (et le canton de Genève à 600 000…), on y arrivera… mais dans quel état? La clef de la démographie, ce n’est pas le nombre, c’est la politique – et plus précisément les politiques – de défense des droits des femmes… Plus le statut des femmes est mauvais, l’éducation insuffisante, la planification familiale absente, les dogmes religieux prégnants, plus la croissance naturelle de la population est forte, plus les femmes font d’enfants puisque moins elles ont la liberté de ne pas en faire – ou de ne pas en faire plus qu’elles voudraient.

La crainte d’une «Suisse à dix millions d’habitants», cette peur du nombre, laissons la à qui a envie d’avoir peur de quelque chose d’inéluctable – à moins, bien entendu, d’une bonne grosse pandémie. Et pas du genre Covid, plutôt du genre peste noire du Moyen-Age… ou brune du siècle dernier. «Un spectre hante l’Occident: celui d’un déferlement de populations en quête d’allocations familiales», écrit le dernier «Manière de voir» du Monde Diplomatique. Un spectre, rien qu’un spectre. Un ectoplasme.

Pascal Holenweg est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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