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«Sparte», un lieu de rencontre identitaire?

«Le référencement d’auteurs ou de thèmes fédérant l’extrême droite contemporaine ne représente qu’une facette du catalogue.» Zoé Garance Zeller détaille les contenus proposés en ligne par «Sparte», la librairie «antimondialiste» désireuse de s’implanter à Carouge, dont l’inauguration a été annulée. Eclairage.
Genève

Ce 14 mars, un tract antifasciste a été distribué devant un supermarché de la banlieue de Carouge. Ce texte bref se dressait contre l’ouverture prochaine d’une librairie d’extrême droite dans le centre commercial. En effet, le catalogue en ligne du magasin contient des livres de collaborateurs de Vichy, de néofascistes ou néonazis actifs depuis les années 1970 et de conspirationnistes antisémites européens. La librairie, nommée d’après l’antique cité grecque de Sparte, se présente sur internet comme une «association culturelle suisse» qui siège à Genève et vise à promouvoir la «culture européenne» par le biais d’une diffusion culturelle écrite ou en ligne (sites web, réseaux sociaux) ainsi que par l’organisation d’événements «de toute nature» du mouvement «identitaire» européen.

Le nom et le logo alertent déjà sur l’idéologie d’un lieu qui se déclare «non conventionnel, antimondialiste et contre la modernité». La référence à Sparte ne vise pas seulement à se rattacher à la civilisation gréco-romaine: la ville a été idéalisée dès le XIXe siècle en Allemagne comme un modèle militaire et eugéniste, au point qu’Adolf Hitler l’a considérée dès 1928 comme source d’inspiration, y puisant le dogme de la «supériorité raciale», avec l’objectif de donner au parti nazi une légitimité à subjuguer la population.

Le logo de Sparte présente aussi des similarités avec des symboles du site Résistance helvétique, qui en fait la promotion sur sa page Facebook auprès de ses quelque 10’000 abonnés. Si Sparte se défend d’être liée à ce groupe d’extrême droite, leurs liens révèlent un fonds commun préoccupant: le sous-titre du site de Résistance helvétique «Nous devons préserver l’existence de notre peuple et un avenir pour nos enfants» est une expression populaire de ralliement des suprémacistes blancs utilisée en ligne et dans l’espace public depuis les années 1980. Ce slogan, créé par le néonazi David Lane avant son incarcération pour le meurtre du journaliste juif Alan Berg aux Etats-Unis, est parfois codifié par le chiffre 14, en référence au nombre de mots que contient l’expression.

En conséquence, le référencement d’auteurs ou de thèmes fédérant l’extrême droite contemporaine, comme le négationniste franco-suisse Alain Soral ou le collaborateur français Louis-Ferdinand Céline, ne représente qu’une facette du catalogue, étonnamment complet, de cette librairie en ligne. Pour quiconque a eu l’infortune d’analyser les ramifications idéologiques du mouvement fasciste, quatre axes principaux émergent des ouvrages proposés: un nationalisme chrétien foncièrement antisémite; la haine d’un système économique mondial «dominé» par les Etats-Unis; une identité «européenne» fantasmée qui amalgame spiritualités celtes et symboles «vikings» pour constituer un idéal d’homogénéité raciale blanche s’appuyant sur une vision déformée du Moyen Age scandinave; et un corpus vague de littérature magico-ésotérique et conspirationniste New Age.

Les livres proposés sont vendus à des prix exorbitants pour des ouvrages de seconde main et l’ouverture d’un espace physique est en réalité utilisée comme un prétexte pour proposer un lieu de rassemblement. Or, les personnes à l’origine de Sparte défendent leur anonymat, que ce soit par l’absence d’une personne identifiable à contacter dans le cadre de questions, pour passer commande ou encore effectuer des dons en soutien à l’organisation. Cette discrétion interroge.

Entre 2015 et 2020, le collectif genevois d’extrême droite Kalvingrad Patriote a été une plateforme de rassemblement dont les activités se concentraient sur la tenue d’événements avec des militants «identitaires» européens (France, Italie, Europe de l’Est, etc.). Le tract distribué contre Sparte émet l’hypothèse que ce lieu, s’il est ouvert, ne servira non pas à vendre des livres, mais sera utilisé par les fascistes et néonazis romands pour «reconstituer un groupuscule à Genève après l’autodissolution de [Kalvingrad Patriote] en 2020».

Face au risque crédible que représente les suprémacistes blancs, fascistes et néonazis, qui défendent le déplacement d’immigrés et des populations perçues comme «étrangères», le travail domestique des femmes et leur assignation à un rôle de reproductrice ainsi qu’une vision déformée de l’histoire mondiale caractérisée par une haine irréductible du judaïsme, de l’islam, des sociétés extra-européennes d’Afrique et d’Amérique du Sud et des personnes ­LGBTIQ+, nous devons continuer à faire pression collectivement en Suisse pour que de tels lieux de propagande d’extrême-droite néonazie et fasciste restent à jamais fermés1>La régie responsable de la location du local étudierait les possibilités de résiliation anticipée du bail, selon Le Temps du 15 mars, ndlr..

Notes[+]

Zoé Garance Keller est étudiante en histoire et sciences politiques.

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