«Francitude amnésique»
Aya Nakamura, victime expiatoire d’une société qui refuse la diversité? Une société qui oublie son passé colonialiste ayant conduit des cohabitations forcées? Une société aux antipodes de ses propres valeurs, au nom desquelles a été versé le sang des natifs comme celui de la multitude de peuples réunis sous l’obscène coupole de la colonisation et embarqués dans une commune destinée. Aya Nakamura n’incarnerait pas la langue française! Une langue devenue patrimoine commun, à travers la francophonie, de tous ceux et celles à qui elle a été imposée. La vision nombriliste du français n’existe que dans les esprits réfractaires au brassage inévitable des cultures, faisant que nul ne reste vraiment intact dès qu’il elle se mêle à n’importe quelle altérité.
Sony Labou Tansi disait: «Il faut dire que s’il y a du français et de moi quelqu’un qui soit en position de force, ce n’est pas le français, c’est moi. […]» Une façon pour l’écrivain congolais de posséder cette langue à sa manière. Pour les peuples et les traditions sur lesquels le français était tombé comme un couperet, avec ses méfaits coloniaux, la possession à leur guise de cette langue est un affranchissement – la liberté d’inculturation de la langue au lieu de s’y acculturer selon un dessein colonial. Et Aya, comme artiste et issue de l’immigration, peut créer des néologismes. Cette liberté a vu émerger le créole haïtien, le noutchi en Côte d’Ivoire, le camfranglais au Cameroun, le francsango en Centrafrique ou encore le langila facile au Congo-Kinshasa…
Aya Nakamura fusionne merveilleusement le français et les germes culturels de ses origines. Elle produit des nuances linguistiques qui séduisent la sphère du métissage auquel le monde n’a pas échappé depuis que les humains se fréquentent.
Les critiques acerbes contre elles sous le prétexte de la langue et de la culture ne sont qu’un faux débat. En réalité, c’est sa couleur de peau qui dérange, comme son fulgurant succès sous l’emblème de la République française dont elle porte la nationalité. Ce qui rend encore plus rageux·ses ses détracteurs et détractrices, c’est son courage à faire face à la meute xénophobe et raciste. C’est la manière avec laquelle elle s’y prend: son indifférence affichée en lieu et place des jérémiades de la victime.
Cette antipathie contre elle est un mépris de classe. Une certaine élite voit en elle de l’effronterie alors que la majorité de ses semblables sont des gens à revenus modestes avec un travail dur. Surtout, effacés des grands débats publics et sur qui l’on déverse la responsabilité de salir l’image de la France. Avec une Aya – sortie de ces oubliés de la liberté, de l’égalité et de la fraternité – qui tient l’espace public mondial en haleine avec des codes issus de la diversité culturelle dont s’est constituée la France à travers ses conquêtes coloniales; la sainte devise du pays de Victor Hugo devient illégitimité, inégalité et inimitié.
Pour justifier la sordide protestation, il se dit aussi qu’elle ne représente pas la culture française, incluant une identité française que certains sont incapables de produire dans son originalité. Cette identité exclusiviste que dénonçait jadis un Georges Moustaki en chantant Le Métèque.
Les attaques contre Aya Nakamura la visent doublement en tant que Noire et femme (self-made-black woman). C’est un assaut contre son affiliation légale et sociale à la France. Cette opinion proscrit toute association de l’histoire française à la citoyenneté acquise des personnes noires. Or, le but de cette association socio-historique est de sceller une cohésion sociale entre les différentes communautés autour des idéaux républicains. Il faut noter que l’initiative est partie du président Macron et que la ministre de la Culture a qualifié de «racistes» les attaques contre le choix de la personne d’Aya afin de chanter à l’ouverture des Jeux olympiques. L’on se souviendra de la levée des boucliers à l’extrême-droite concernant la production de Black M lors de la commémoration de la bataille de Verdun. Le chanteur était accusé d’offense contre la France. Or, l’histoire du showbiz français ne manque pas de pourfendeurs de la République sur lesquels aucun politique ne professe l’excommunication ou l’exclusion.
Tout cela est symptomatique d’un racisme larvé qui peut revêtir plusieurs formes et auquel pourrait faire face tout Noir en France ou ailleurs en Europe, dès qu’il ou elle conquiert l’espace public. En attendant que se sache qui chantera à l’ouverture des JO de Paris, une certaine France est en transe dans sa francitude et expose sans vergogne sa vision rance de l’altérité.
Alain Tito Mabiala est un journaliste et écrivain congolais exilé en Suisse.