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Barbara à Gaza

Des «proclamations de bonnes intentions» pour «effacer les livraisons massives d’obus et de bombes» à Israël. Serge Halimi fustige les ambiguïtés occidentales face au conflit israélo-palestinien.
Palestine

Alors que le nombre de victimes civiles à Gaza s’accroît, les dirigeants occidentaux, qui ont résolu de ne prendre aucune mesure contre leur allié israélien, feignent de déplorer son acharnement. Le président américain, Joseph Biden, et son secrétaire d’Etat, Antony Blinken, chefs de file de ce camp nimbé de vertu, confient chaque jour ou presque leur agacement, voire leur colère, contre M. Benyamin Netanyahou (qui n’en a cure) tout en se démenant pour que le Congrès américain verse à son gouvernement 14 milliards de dollars d’aide supplémentaire. Un genre d’article s’impose dans les médias qui consiste à effacer les livraisons massives d’obus et de bombes occidentales avec des proclamations de bonnes intentions1>Cf. Jack Mirkinson, «Biden Is Mad at Netanyahu? Spare Me», The Nation, New York, 13 février 2024..

Pas seulement aux Etats-Unis, pas seulement de la part des journalistes (et d’ailleurs pas de tous). Ainsi, le 12 février dernier, France Inter recevait M. Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Le journaliste Simon Le Baron évoque la «situation humanitaire catastrophique» à Gaza avant d’interroger le député, acteur politique et pas simple commentateur: «Est-ce que les mots suffisent?» Il récolte alors une moisson de… mots: «épouvantable», «des milliers et des milliers de morts, des enfants, des femmes», «on manque de tout, d’eau, de vivres, de médicaments». Et, pour conclure, cet avertissement cinglant: «En tout cas stop là, parce que ça n’est pas possible!»

Nullement étourdi par la virtuosité verbale de son interlocuteur, qui n’a pas hésité à citer les vers d’une chanson de Barbara sur «les enfants qui sont les mêmes» à Gaza et à Jérusalem pour appuyer son émotion, Le Baron donne aussitôt la parole à un auditeur, «Marc». Mais ce jour-là, contrairement à la pratique de Nicolas Demorand, animateur habituel de la matinale, l’auditeur n’est pas interrompu au bout de quelques secondes. Marc réclame donc que le député, allant au-delà des «mots qui ne suffisent pas», lui dise, «concrètement», «s’il ne faut pas obtenir un embargo sur les armes à destination d’Israël. Et demander que Netanyahou et son gouvernement soient traduits devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité, voire pour génocide». Marc demande enfin que la justice française s’intéresse «aux double-nationaux qui servent dans l’armée israélienne pour vérifier qu’ils ne se rendent pas coupables de crimes de guerre».

Des questions précises. Les réponses le sont moins. Embargo sur les armes? «Je ne suis pas capable de vous dire», admet M. Vallaud, apparemment moins en verve que lorsque, quelques secondes plus tôt, il citait Barbara. Le député français suggère néanmoins que le président… américain «bouge encore, dise que ce qui se passe n’est pas admissible». Le Baron enchaîne: «Très concrètement, est-ce que les Occidentaux doivent menacer, voire prendre des sanctions?» Le président du groupe socialiste dégaine à nouveau sa formule choc: «Ecoutez, je ne suis pas capable de vous dire… En tout cas, il faut que la pression diplomatique soit, j’allais dire, sans nuances. (…) Et à l’égard non seulement d’Israël, évidemment, mais aussi des Etats-Unis, qui ont la clé.»

Le Baron n’en reste pas là: «La dernière question, c’était sur les binationaux, les Franco-Israéliens qui servent dans l’armée israélienne, qu’est-ce que vous en pensez?» On entend M. Vallaud soupirer, puis: «Ecoutez, je… ils sont binationaux, soumis au service militaire. Il y a des règles du droit de la guerre. Elles s’imposent à toutes les armées.»

Résumé: il faudrait que M. Biden réprimande M. Netanyahou, que les Etats-Unis utilisent davantage leur «clé» et que les militaires binationaux respectent le droit de la guerre. Les enfants de Gaza, qui «sont les mêmes» que ceux d’Ukraine ou de Jérusalem, sont presque déjà sauvés.

Notes[+]

Paru dans Le Monde diplomatique de mars 2024, www.monde-diplomatique.fr

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