Safe place

Maternité

Le bruit étrange d’un plongeon sur le penthouse au dessus de nos têtes. Il était neuf heures du matin, le soleil était doux, alors que dans la vallée, à mille mètres en dessous, c’était la canicule. Des rires d’enfants, puis une voix grave. Alors j’ai décidé. Non, ça n’irait pas là non plus. J’avais arpenté le monde, Gloria. J’avais marché dans Lausanne. J’avais vu le Vercors, les blés ocre de la Drôme des collines, les oiseaux se désaltérant près de la mare, les soirs d’été. J’avais entendu les rames des métros de plein de villes, le bruit de bois brisé des bateaux qui accostent, les voix de mes parents au coin du feu.

J’avais parcouru le monde, ou du moins quelques pays, à la recherche d’un endroit où te voir grandir librement, où trouver de l’ombre pour que tu y marches sans crainte. J’avais parcouru des villes et des villes, des rues et des champs, et même une montagne, avec un hôtel au sommet duquel il y avait un penthouse, pour trouver un endroit où je n’aurai pas peur que tu vives. Les femmes enceintes ont des lubies. La vérité, je le savais déjà, c’est qu’il n’y en a pas. Il n’y a aucun endroit sûr, ni pour toi ni pour les autres. Et surtout pas pour les filles. Et tu en serais une, peut-être, puisque trois gynécologues me l’avaient assuré.

Pas sûre, la nuit moite et bleue près des zones industrielles. Pas sûr non plus, le jardin de la maison d’à côté, où dans un bosquet un oiseau se faisait manger par un chat. Pas sûre, la plaine enneigée dans laquelle, assise dans un train, j’ai vu un renardeau s’amuser avec des flocons. Alors tu es née, et bien sûr la peur ne valait pas le bonheur et l’odeur de ta peau. Mais tout de même. Je continue d’arpenter le monde, ou du moins quelques pays, dans l’espoir vain d’y trouver ton refuge – un refuge hors de moi, que tu ne me demandes même pas. Depuis que tu es née, j’ai vu une capitale et ses touristes, des oasis sans pluie, j’ai vu Djanet, j’ai vu des aéroports sous des lumières jaunes. Il n’y a pas d’endroit sûr, c’est vrai, et les lieux se succèdent devant moi, et aucun ne t’arrive à la cheville.

Le premier roman d’Emmanuelle Fournier-Lorentz, Villa-Royale (Gallimard, 2022), a reçu le prix Michel-Dentan.

Emmanuelle Fournier-Lorentz Maternité

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