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Et si on légalisait le marché de la drogue?

À votre santé!

Lors de mon séjour récent au Chiapas, j’ai pu me rendre compte combien la présence de deux cartels de drogue qui se disputent le territoire perturbe la vie quotidienne de la population, surtout celle qui vit dans les campagnes ou les petites villes. On parle beaucoup des assassinats, des prises d’otages ou des viols de femmes par ces gangs armés (cela touche aussi les ONG présentes dont Madre Tierra Mexico ), mais il y a aussi les droits que ces cartels s’arrogent, comme celui de lever des taxes sur les transports ou les petites échoppes de quartiers ou de villages. Le sentiment d’insécurité est tel que la vie se paralyse: on n’arrive plus à sortir sa production de tomates ou de maïs, on ne peut plus aller à l’hôpital et les agents de santé publique ne font plus de campagnes de vaccination et trop souvent les instituteurs ne viennent plus enseigner par peur. Et ni la garde nationale ni l’armée n’entrent dans les territoires contrôlés par ces cartels. Après cinq ans, le président méxicain, López Obrador, n’a pas pu régler ce problème malgré sa politique volontariste qui consiste à traiter les facteurs sociétaux favorisant la criminalité: chômage, manque d’opportunités de travail ou de formation, misère dans les campagnes. Peut-on lui en faire le grief alors que, en mars dernier, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a reconnu que la guerre contre les drogues est un échec, lors de la 66e session de la Commission des stupéfiants (CND) de l’ONU qui s’est tenue à Vienne. A cette occasion, la vice-ministre des Affaires extérieures de Colombie, Laura Gil, a dit: «En dépit des saisies de drogues destinées aux marchés nord-américain et européen, du démantèlement de nombreux laboratoires clandestins, de l’arrachage ou de la fumigation au glyphosate d’hectares de champs de coca, on observe une augmentation historique des flux de cocaïne.» «C’est représentatif de l’échec du système dans son entier », ajoute-t-elle.

En Suisse, l’ex-Commission fédérale pour les questions liées aux addictions (CFLA) faisait le constat il y a quelques années que «l’interdiction des stupéfiants n’a réduit ni la consommation ni le commerce des substances et n’a pas permis d’assécher le marché noir. En revanche, elle a conduit à considérer comme criminelle une partie de la population ayant une consommation à faible risque.»
La CFLA, d’ailleurs, préconisait, dans un des trois scénarios présentés de modifications possibles de stratégie, «une révision totale de la Loi sur les stupéfiants (Lstup): le principe de l’interdiction est abandonné. La révision s’appuie sur les principes de dignité humaine, de proportionnalité, d’autonomie et de protection de la santé. Elle accorde la primauté à la réduction des risques plutôt qu’à l’abstinence.»

On peut donc dire que, heureusement, les fronts dans la manière d’aborder la question du marché des drogues et de leur consommation bougent, sous l’impulsion des pays producteurs, dans les instances onusiennes mais aussi au niveau des Etats et donc aussi en Suisse. Elle qui était pionnière dans sa politique des quatre piliers (la prévention, le traitement, la réduction des risques et la répression) dans les années 1990 a pris du retard sur d’autres pays dans la régulation des marchés de stupéfiants, mais aussi dans la prise en charge des consommateurs, même si des pas timides se font avec des projets pilotes, dans différentes villes, de vente légale et contrôlée de cannabis (qui reste la drogue largement la plus consommée en Suisse).

Légaliser le marché de la drogue pourrait être une vraie solution. Mais comme le rappelait un éditorial de la Revue médicale suisse (RMS), la prise en charge de l’addiction fait face à divers défis: «Haute consommation de tabac, des jeunes attirés par les puff bars, des analyses des eaux usées qui suggèrent une consommation élevée de cannabis et de cocaïne, des morbidités et mortalités importantes en lien avec la consommation d’alcool et des barrières diverses d’accès aux soins pour ceux qui en ont besoin.» Le contexte politique suisse très libéral, dominé par les lobbyistes du tabac et de l’alcool – j’en ai déjà parlé quelques fois –, ne permet pas de faire adopter par les Chambres fédérales des mesures efficaces du point de vue de la santé publique comme l’interdiction de la publicité, ou un emballage neutre des cigarettes ou encore un prix élevé.

Légaliser les drogues oui, mais avec mes collègues de la RMS je rappellerai qu’un «marché légal non régulé induit autant voire plus de dommages sanitaires et sociaux qu’un marché criminel non régulé». C’est un vrai choix politique où les principes de santé publique et de cohésion sociale devraient primer!

Bernard Borel est pédiatre FMH, conseiller communal à Aigle

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lundi 8 janvier 2018

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