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«La défense des droits humains doit s’affranchir de toute considération partisane»

Face aux interdictions de manifestations en rapport avec le conflit israélo-palestinien prononcées dans divers Etats européens – y compris en Suisse –   Nadia Boehlen, d’Amnesty, réagit: «Manifester pacifiquement en lien avec le Proche-Orient ne constitue pas une menace pour la sécurité.
Droit de manifester

S’exprimer contre l’injustice ou participer à une marche de solidarité sont quelques-uns des rares outils dont nous disposons pour tenter de faire changer les choses. Sans le droit de manifester publiquement et pacifiquement, de partager des messages sur les réseaux sociaux, d’écrire des lettres et de signer des pétitions, nous sommes réduit·es au silence.

Pourtant, au cours du mois dernier, les autorités d’un certain nombre d’Etats européens ont interdit les manifestations en lien avec le Proche-Orient. Ils ont harcelé et arrêté des personnes pour avoir exprimé – en public et en ligne – leur soutien aux droits des Palestinien·nes. Certains gouvernements ont même menacé de fermer les organisations et les groupes qui défendent leurs droits, et de bloquer le financement d’organisations de défense des droits humains palestiniennes, israéliennes ou régionales.

Toujours en Europe, des ressortissant·es étranger·ères ont été averti·es qu’ils ou elles pourraient être expulsé·es pour avoir exprimé des «idéologies radicales», et les autorités ont soutenu les mesures prises par des employeurs pour licencier des personnes qui s’expriment au nom des Palestinien·nes. Elles ont également encouragé les écoles, les collèges et les universités à surveiller les signes de ce que l’on désigne comme de «l’extrémisme» dans le discours de leurs étudiant·es.

Les gouvernements ont commencé par affirmer que toutes ces restrictions étaient nécessaires dans l’intérêt de «l’ordre public», avant de glisser vers un amalgame entre le soutien aux droits humains des Palestinien·nes et le soutien au terrorisme.

La Suisse a elle aussi alimenté cette tendance. Zurich, Bâle et Berne ont prononcé des interdictions générales de manifester en lien avec le Proche-Orient. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a suspendu le financement de 11 ONG de défense des droits humains actives en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, tandis que des politicien·nes ont ouvertement fait le lien entre aide à ces ONG et possible soutien au terrorisme (lire aussi notre article du 7 novembre 2023).

En imposant des mesures liant spécifiquement les expressions de solidarité avec les Palestinien·nes au soutien ou à l’encouragement du terrorisme, certains dirigeant·es européen·nes sont allés au-delà de l’affirmation déjà douteuse selon laquelle les manifestations pourraient constituer une menace pour l’ordre public en affirmant qu’elles pourraient menacer la sécurité nationale. Au regard de l’actuelle recrudescence des actes antisémites et islamophobes, nos autorités feraient mieux de concentrer leurs efforts sur la lutte contre les véritables discours et crimes de haine plutôt que d’interdire ou restreindre les manifestations pacifiques en lien avec le Proche-Orient.

Les Etats doivent justifier les mesures qui s’écartent de leurs obligations en matière de droits humains. Ils doivent pour ce faire les inscrire dans la loi et veiller à ce que chaque mesure soit nécessaire et proportionnée. Or invoquer spécifiquement le soutien aux Palestinien·nes comme une menace pour la sécurité nationale fait planer le risque que les droits humains soient subordonnés à de prétendus impératifs de sécurité.

Soutenir les droits humains des Palestinien·nes soumis·es aux bombardements, à l’apartheid et à l’occupation israélienne, c’est soutenir les droits humains universels. Il en va de même lorsqu’il s’agit de défendre les droits des otages israélien·nes. La défense des droits humains doit s’affranchir de toute considération partisane – et être comprise comme telle.

Les Etats européens disposent de nombreux outils pour répondre à des menaces extrêmes lorsqu’elles sont réelles. Prétendre que des manifestations pacifiques constituent une telle menace est une violation des droits humains.

Nadia Boehle est porte-parole d’Amnesty Suisse.

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