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Rendre le «greenwishing» superflu

Andreas Missbach revient sur le rendez-vous annuel des poids lourds de la finance autour de la durabilité qui a eu lieu début octobre à Genève. «Les vrais gros leviers de la réglementation et de la taxation» des grandes entreprises émettrices de CO2 sont laissés de côté, déplore le directeur d’Alliance Sud.
Finance durable

Convoqué chaque année à Genève, le sommet Building Bridges poursuit un objectif ambitieux: définir l’agenda mondial de la finance durable. Pour ce faire, il doit lancer des ponts entre les acteurs financiers, les autorités, les organisations des Nations unies et les représentantes et représentants de la société civile. Les poids lourds de la finance suisse et mondiale étaient présents début octobre et tous ont entonné le même refrain: pour que les objectifs de développement durable puissent être atteints, le secteur financier doit jouer un rôle majeur dans la transition équitable. Mais si l’on prend ce slogan au sérieux, la transition vers un monde post-fossile exige une transformation complète de la manière dont nous produisons et consommons, et ce de sorte qu’elle ne se fasse plus sur le dos des pauvres et des pays en développement.

Certains, comme le PDG d’UBS, Sergio Ermotti, devraient avoir le vertige: UBS ainsi que Credit Suisse, absorbé par le géant, ont tout sauf réduit leurs activités de financement des énergies fossiles, même s’ils se sont amplement (et volontairement) engagés à atteindre l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici 2050 – un écoblanchiment classique, donc.

Même le Conseil fédéral, qui avait fixé en 2020 l’objectif de faire de la Suisse un site de premier ordre en matière de services financiers durables, mise entièrement sur le caractère volontaire. Lobby du secteur, Swiss Sustainable Finance parle tout de même de 1600 milliards de francs d’investissements durables en Suisse. Mais la «durabilité» de la moitié de ces derniers se limite au respect de certains critères définis par le secteur lui-même. Moins de 9% sont dits impact generating, plus précisément déploient des effets positifs concrets.

Au Conseil fédéral, tout comme à la conférence Building Bridges, le «greenwishing» domine, à savoir l’espoir collectif que les milliers de milliards nécessaires au financement d’un tournant vert équitable seront d’une manière ou d’une autre généreusement mis à disposition par le secteur financier. Davantage de «greenwishing» encore est nécessaire lorsqu’il y va de l’équité de la transition, à savoir de la justice. Il n’existe pas de modèle économique pour l’adaptation au changement climatique, la réparation des préjudices ou les progrès en matière d’éducation et de santé.

C’est pourquoi il a beaucoup été question de financements mixtes et de diminution des risques à Genève: les fonds de développement étatiques et multilatéraux doivent être utilisés pour faire décoller les investissements. Mais cela pourrait subventionner les investisseurs privés, dont l’activité première devrait être de prendre des risques financiers. Et on détourne l’attention du fait qu’il est urgent, à plus forte raison dans notre Suisse prospère, de consacrer davantage de fonds publics à la coopération au développement et au financement international dans le domaine du climat.

A Genève et dans la Berne fédérale, l’espoir repose donc sur le caractère volontaire et le subventionnement des risques alors que les vrais gros leviers que sont la réglementation et la taxation devraient faire l’objet de sérieux débats. Si le Conseil fédéral prescrivait par exemple aux grandes entreprises des trajectoires contraignantes de réduction des émissions de CO2 et pas seulement des rapports obligatoires, comme ce sera le cas dès 2024, un terme serait mis au «greenwashing» et le «greenwishing» deviendrait superflu.

Andreas Missbach est directeur d’Alliance Sud, centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement.

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