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Glyphosate: le biais scientifique

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Il n’y a plus de doute raisonnablement possible concernant les effets des pesticides sur l’environnement. Leur usage est à 90% le fait de l’agriculture. Cette dernière est bel et bien, par exemple, la principale responsable de la sidérante disparition des oiseaux en Europe, dont les populations se sont effondrées de 25% en près de quarante ans, voire de près de 60% pour les espèces des milieux agricoles. C’est la principale conclusion de l’étude la plus vaste et la plus complète à ce jour sur les oiseaux en Europe, publiée en mai de cette année dans la revue scientifique PNAS.

«Ce déclin est la signature d’une dégradation environnementale profonde. Certaines espèces mangeuses d’insectes mais non strictement agricoles finissent par pâtir de la disparition des insectes largement causée par l’agriculture intensive.» Voilà ce qu’affirme Vincent Devictor, coauteur et directeur de recherche au CNRS, dans une interview publiée le 15 mai dans le journal Libération. Cela pourrait – devrait? –, en soi, inciter les autorités politiques à remettre en question le mode de production agro-industriel et peut-être à interdire au moins certains pesticides.

Mais il y a encore plus «surprenant»: c’est l’histoire du glyphosate, assez emblématique pour être l’herbicide le plus répandu. Il représente un marché énorme, donc un enjeu économique certain. Le fabricant Monsanto a toujours clamé l’innocuité de son produit pour les humains. Mais, en 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a jugé le glyphosate «probablement cancérogène».

En 2018, un jury californien a notamment conclu que la multinationale étasunienne avait agi avec malveillance en cachant le caractère potentiellement cancérogène et mutagène du glyphosate, et ce, depuis 1999. Lors du procès, il a été démontré que Monsanto aurait manipulé certaines preuves scientifiques suggérant l’innocuité de son herbicide. Notamment, des employés de la firme auraient commenté et contribué à la rédaction d’articles scientifiques qui auraient été signés par des chercheurs «prête-plume», soi-disant indépendants et sans conflit d’intérêts. La multinationale a dû verser des centaines de millions de dédommagements à des personnes atteintes de cancers.

En 2021, à la demande du gouvernement français, l’Institut national de santé et recherche médicale (Inserm) a publié un rapport de synthèse qui vient confirmer les conclusions du CIRC de manière diplomatique, en affirmant que «le lien entre le glyphosate et certaines pathologies ou problématiques est plus fort que ce qu’on pensait jusqu’ici. Sur la génotoxicité, nous sommes effectivement plutôt du côté du CIRC: la littérature montre de plus en plus qu’il existe un effet non neutre».

C’est l’European Food Safety Authorithy (EFSA) qui doit réévaluer l’autorisation du glyphosate en Europe, ce qu’elle vient de faire. Le 6 juillet, l’autorité régulatrice a affirmé: «L’évaluation de l’impact du glyphosate sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement n’a pas identifié de domaine de préoccupation critique.» Comment peut-on en arriver là?

L’EFSA s’appuie sur des procédures et protocoles de tests standardisés qui peinent à évoluer, utilisant des données préparées par les firmes (BayerMonsanto en l’occurrence!) selon les standards de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et souvent confidentielles. Elle n’étudie que la «substance active» et accorde peu d’importance aux études épidémiologiques pourtant essentielles, alors que celles-ci sont centrales dans les analyses du CIRC. Par exemple, l’évaluation réglementaire des pesticides repose aujourd’hui sur l’hypothèse que les travailleurs agricoles portent des équipements de protection individuels (EPI) comme des combinaisons, des masques, des gants systématiquement propres ou neufs. Les calculs d’évaluation des risques sont basés sur cette hypothèse.

Les analyses du CIRC, elles, comme celles qui insistent sur la non prise en compte des expositions cumulées ou des effets cocktails (Evans et al., 2015), montrent que les protocoles réglementaires actuellement utilisés par l’EFSA peuvent conduire à ignorer les expositions réelles et à maintenir sur le marché des produits susceptibles d’être à l’origine de pathologies potentiellement graves, comme le rappelle Henri Boullier dans un article paru dans Natures Sciences Sociétés en 20211>enri Boullier, «Derrière le spectre des ‘conflits d’intérêts’ généralisés. Les agences face aux défis de l’évaluation réglementaire de produits», Natures Sciences Sociétés 2021/1 (Vol. 29), pages 103 à 108.. C’est dire le biais scientifique de l’analyse de l’EFSA – avec les conséquences qu’on observe.

Entre autres examens, l’EFSA doit déterminer à quelles conditions une molécule dont les dangers sont connus pourra être commercialisée. Dans ce cas, le risque sanitaire pour la population, connu et clairement défini, ne pèse pas bien lourd face au modèle agro-industriel voulu par la Commission européenne et les Etats qu’elle représente. Et la Suisse politique majoritaire suit. Cherchez l’erreur!

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Bernard Borel est pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle

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lundi 8 janvier 2018

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