Chroniques

Many, torturé (4/5)

#Stop Dublin Croatie

Many est un jeune homme burundais; le fait d’être tutsi a mis sa vie en danger. Quand il fuit son pays en 2015, il se rend au Rwanda. En 2017, il rejoint Kigali, la capitale, où il trouve du travail et reprend ses études. «J’étais bien au Rwanda, dit-il, alors j’ai pensé à fonder une famille.» Mais en 2022, un groupe armé veut l’embrigader. Many refuse. «Un jour, ils sont venus chez moi pour me tuer.» Il réchappe à cette attaque mais se fait ensuite enlever et torturer. «J’ai compris qu’ils iraient jusqu’à ma mort.» Alors il fuit à nouveau.

Son frère aîné, depuis le Burundi, trouve des passeurs. Many prend en avion pour Istanbul, puis continue à pied avec une quarantaine d’autres personnes. «Je ne sais pas quels pays on a traversés», dit-il en riant un peu. Quelque part sur le parcours, il retrouve son frère.

«C’est quand la police croate nous a attrapés à la frontière que j’ai su qu’on arrivait de Bosnie.» Le voici face aux gardiens de la forteresse européenne. «Ils étaient deux, dit-il gravement. Je revois même leurs visages. Ils nous ont fait coucher au sol, ont confisqué nos téléphones et ont commencé à nous battre avec des matraques, avec leurs fusils. Ils tiraient près de nous pour nous faire peur.» Many passe ainsi une journée et une nuit sous la pluie, sans manger ni boire. Sous les coups, il perd connaissance deux fois.

Puis les familles sont séparées du groupe. «J’ai trouvé une fille avec son petit frère, on a dit qu’on était ensemble.» On les emmène. «J’ai réclamé mon frère et eux, ils ont recommencé à me frapper fort.» Dans les faits, le frère de Many a subi un push-back [refoulement]. Quant à lui, les policiers croates l’enferment dans les toilettes d’un poste de police. «J’ai passé la nuit avec un policier qui me surveillait. Déjà deux jours sans manger ni boire. Quand j’ai perdu connaissance, ils m’ont apporté des bouts de pain qu’ils ont jetés sur le sol et qu’ils ont piétinés. Ils m’ont dit ‘take that, monkey’ [prends ça, singe]. J’ai dû boire l’eau des toilettes.»

Puis Many, épuisé, s’endort. «C’est là, vers quatre heures du matin, que le policier m’a violé», dit-il. Plus tard quand, arrivé en Suisse, il racontera cet épisode au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), il expliquera: «Si vous voulez me renvoyer là-bas, cherchez un cercueil.»

L’après-midi, on vient le chercher pour recueillir ses empreintes et lui faire signer des papiers. Many résiste. Tout est écrit en croate. Les policiers menacent, l’un d’eux dégaine son revolver et lui pose le canon sur la tempe. Ils m’ont dit: «Si tu signes pas, on t’éclate la tête.» Many a signé.

Une fois dehors, il découvre qu’il est à Zagreb. Il est contrôlé et battu à nouveau et parvient finalement à passer en Slovénie, puis en Italie. «Je me suis demandé où j’allais aller, je ne savais rien de la Suisse. Au Burundi, j’ai fait du bénévolat pour la Croix-Rouge, alors je connaissais Henry Dunant et Genève, sa tradition humanitaire, j’ai pensé qu’on me comprendrait.»

En train, Many arrive à Neuchâtel, puis au centre d’asile de Boudry. «J’étais vraiment soulagé, je n’aurais jamais imaginé une réponse négative. Ils savaient ce que j’avais subi, il y avait des rapports médicaux.» En effet, son dossier certifie les lésions et l’agression sexuelle. Un diagnostic relève un état de stress post-traumatique et de dépression – Many tentera d’ailleurs de s’ôter la vie au refus de sa demande d’asile. Cela n’empêche pas le SEM de se référer au récit de Many comme à des allégations et d’écrire que ses déclarations ne s’appuient sur aucun élément probant, pour conclure qu’il n’y a aucun motif justifiant l’application de la clause de souveraineté du Règlement Dublin.

Many a fait recours auprès du Tribunal administratif fédéral. «Aujourd’hui, je ressens beaucoup d’angoisse et d’inquiétude, soupire-t-il. En septembre, ça fera un an que je suis en Suisse et je n’ai toujours pas de réponse. Je suis fatigué.»

Many doit rester en Suisse, le Conseil d’Etat doit stopper les renvois Dublin vers la Croatie!

Association de soutien aux migrant·es basée à Genève, solidaritetattes.ch

Rendez-vous mercredi prochain pour le dernier témoignage de la série.

 

Opinions Chroniques Solidarité Tattes #Stop Dublin Croatie

Chronique liée

#Stop Dublin Croatie

mercredi 7 juin 2023

Connexion