En Russie, l’éveil du golem
Après une rébellion lancée samedi contre l’état-major russe par Evguéni Prigojine, le chef du groupe paramilitaire Wagner, puis un désistement tout aussi soudain, le calme semble être revenu sur la Mère Patrie. Méfions-nous de l’eau qui dort, car ce bref chambardement n’est que le témoin d’une crise plus profonde qui semble traverser le commandement militaire russe.
Depuis plusieurs mois, Evguéni Prigojine et les généraux de haut niveau qui le secondent, entretiennent une animosité croissante envers le ministre russe de la défense, Sergei Shoigu, et le chef d’état-major des forces armées, Valery Gerasimov. Une inimitié qui, jusqu’à présent, n’avait jamais visé Vladimir Poutine directement.
Pour cause, le président russe lâchait beaucoup de lest au chef de la milice. Celui-ci jouant un rôle politique clé à l’étranger, notamment en Afrique centrale, où ses services paramilitaires lui permettent un accès à des ressources naturelles précieuses. Bien que des rapports montrent que le groupe est mêlé à la mort de centaines de civil·es, à des violences sexuelles, des déplacements de population et des pillages, Poutine a toujours fermé les yeux, s’accommodant du statut privé et indépendant de la milice pour nier une quelconque ingérence russe, tout en asseyant militairement et commercialement la puissance du pays là où d’autres forces impérialistes se chamaillent.
Années après années, la machine Wagner a grandi et les velléités politiques de son dirigeant aussi. Depuis le début de la guerre en Ukraine, sa milice et l’armée «traditionnelle» sont amenées à combattre sur les mêmes fronts. Une proximité au combat qui implique que les sphères d’influence mutuelles se chevauchent toujours plus et que les guerres intestines entre Prigojine et l’état-major s’intensifient.
En s’en prenant directement à Poutine samedi, le milicien a franchi le Rubicon, et dans le même temps placé le chef d’Etat dans une position de vulnérabilité sans précédent. A ce stade, il est extrêmement difficile de prédire l’avenir. Si Prigogine est définitivement écarté, Poutine pourrait faire rentrer ses miliciens dans le rang et centraliser les chaînes de commandement aujourd’hui fragmentées. De quoi lui permettre de sortir renforcé de cette crise.
Dans le chaos de la guerre, l’inverse semble tout aussi plausible. L’offensive de samedi n’a pas abouti, mais elle pourrait être l’avant-goût de ce qui attend le pays si la guerre s’éternise et épuise davantage des miliciens aux tendances dissidentes: à savoir une violente et désastreuse implosion.