Christa, enceinte (2/5)
Christa (prénom d’emprunt) est une jeune Burundaise de 24 ans plutôt robuste, qui parle à voix très basse et très douce. Elle exprime sans détour la raison qui l’a poussée à quitter son pays: «Je suis partie de chez moi en mai 2022 à la suite d’une horrible histoire, impossible à supporter dans mon pays: j’ai été violée par un politicien au début du mois d’avril 2022. Après ça, j’ai dû quitter le Burundi le plus vite possible, parce que si ma famille portait plainte, j’étais en danger de mort.»
Commence alors le voyage qui l’emmène d’abord en avion vers la Serbie. «C’est là que je me suis aperçue que… j’étais enceinte! Malheur!» s’écrie-t-elle. «J’ai demandé à plusieurs reprises d’avorter en Serbie, mais ils m’ont dit que ce n’était pas possible vu que je n’avais pas un permis de séjour chez eux. Du coup, j’ai décidé de quitter la Serbie au plus vite pour aller dans un pays de l’Union européenne où je pensais qu’il était possible d’avorter.»
Christa va continuer sa route en passant par la Bosnie, à pied, pendant deux jours. Elle n’est pas seule; elle voyage avec un groupe de compatriotes, dont une majorité de femmes et quelques enfants. Parmi eux, il y a un ami qu’elle connaît depuis longtemps, qui va l’aider pendant le trajet et par la suite. Et avec qui elle va former un couple.
En septembre 2022, arrivée à la frontière croate, elle subit un pushback violent, avec les coups, les chiens et les insultes. Avec ses amis, elle est emmenée dans un fourgon qui les laisse «dans une forêt, près d’une rivière». «On était de nouveau en Bosnie! Ils ont frappé les hommes de notre petit groupe. On a passé la nuit dans cette forêt, dans le froid et la peur.»
Deux jours plus tard, nouvel essai pour passer la frontière. Cette fois, la police emmène tout le groupe en prison. « On est resté douze heures sans eau et sans nourriture. Dans une seule chambre, on était plus de vingt-cinq personnes. Il y avait parmi nous des bébés, des femmes enceintes – dont moi-même, de presque six mois –, des personnes malades. Je me suis évanouie une fois et, à mon réveil, j’ai demandé si je pouvais avoir de l’eau, mais ils se sont moqués de moi.» Christa répétera à plusieurs reprises qu’elle ne pouvait pas accéder à un verre d’eau, un refus pour elle ignoble.
Ensuite, c’est le scénario connu au travers de nombreux témoignages: les personnes sont forcées de donner leurs empreintes et de signer des papiers en croate que nul·le ne comprend, sans l’aide d’un ou une interprète.
Christa pensait qu’arrivée en Europe, elle aurait accès à l’IVG. Mais dans sa situation, elle ne voit pas comment s’y prendre: «Il n’y avait ni médecin, ni personne pour m’écouter. D’ailleurs, ils m’ont chassée le jour même de mon arrivée.»
Un passeur aide le groupe à quitter la Croatie – «l’enfer». Le nouveau trajet s’effectue à pied. Dès que Christa arrive en Suisse, elle demande encore une fois une IVG, mais il est trop tard: elle est enceinte de plus de six mois.
«Pendant toutes ces semaines et ces mois, ma grossesse avançait et j’étais toujours malheureuse. Comment j’allais faire dans cette situation, avec ce bébé qui allait naître? Il est né en Suisse, en janvier 2023; c’est un petit garçon. J’ai eu de la peine à m’attacher à lui, je n’ai pas voulu l’allaiter. J’ai fait des démarches pour une adoption.» Après de longs moments d’hésitation et de désespoir, avec la présence encourageante de son ami qui s’occupe beaucoup du bébé, Christa décide de garder son enfant. «Mais la situation reste pour moi difficile: comment vivre et faire ce que j’ai à faire avec cette menace de renvoi vers la Croatie, vers l’enfer?»
Christa, son compagnon et son bébé doivent rester en Suisse, le Conseil d’Etat genevois doit stopper les renvois Dublin vers la Croatie!
Association de soutien aux migrant·es basée à Genève, solidaritetattes.ch
Rendez-vous jeudi prochain avec un nouveau témoignage.