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Le paradoxe du mouvement des retraites

Le paradoxe du mouvement des retraites
Paris, 20 avril 2023. KEYSTONE epa10581716 Railway workers display a banner reading 'No to the Pension Reform' after occupying the French stock exchange Euronext group headquarters during a protest against the government pension reform at business district of 'La Defense' in Paris, France, 20 April 2023. France faces an ongoing national strike against the government's pensions reform after the prime minister on 16 March announced the use of article 49 paragraph 3 (49.3) of the Constitution of France to have the text on the controversial pension reform law to be definitively adopted without a vote. EPA/CHRISTOPHE PETIT TESSON
France

Le mouvement contre le relèvement de l’âge de la retraite a sans doute vécu mardi sa dernière journée nationale de mobilisation. Après une longue pause, et avec le sentiment largement partagé qu’Emmanuel Macron ne reculerait pas, la messe était plus que dite. Les syndicats peuvent ranger banderoles et casseroles, avec une certaine amertume mais également une légitime fierté: peu auraient parié en décembre sur un mouvement social à ce point massif dans la rue et populaire dans l’opinion.

Malgré la défaite, ce combat était nécessaire. Loin de la caricature, les Français·es partent relativement tard à la retraite, puisque sans quarante-trois années de cotisation, ils et elles doivent attendre 67 ans pour obtenir une rente pleine. Quand on sait que plus d’un tiers des travailleur·euses arrive à la quille directement par la case chômage et que l’espérance de vie en bonne santé d’un retraité est d’une dizaine d’années, on mesure l’importance de ces deux ans «volés» par la réforme Macron.

S’ils n’ont pu bloquer ce recul, les syndicats ont su catalyser le mécontentement et en sortent renforcés, en termes d’adhérent·es et de légitimité populaire. Ils seront en ordre de bataille pour les échéances qui se profilent, comme le projet d’obligation de travailler pour les bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA, ex-RMI).

Il n’en reste pas moins que la défaite est là. Et qu’elle s’inscrit dans une série de batailles perdues, contre la première réforme des retraites en 2010 ou contre la Loi Travail en 2016, pour ne citer que les principales. C’est simple: depuis 2006 et l’échec du CPE (le Smic jeunes), le gouvernement français n’a plus plié le genou devant la mobilisation syndicale.

Ce laps de temps coïncide peu ou prou avec la radicalisation de la bourgeoisie européenne. Avec la crise de la mondialisation et les soubresauts de la finance, l’exploitation du travail local a retrouvé sa centralité dans la rémunération de ses capitaux. Sous la pression d’investisseurs habitués aux rendements de l’économie casino, le patronat a obtenu des gouvernements successifs une série de mesures favorables – baisses de charges, libéralisation du marché de l’emploi, durcissement du traitement des chômeur·euses, etc. – dont l’allongement du temps de travail est la clé de voûte.

Des gouvernements qui se montrent d’autant plus inflexibles face aux mobilisations sociales que l’alternance politique est grippée, soit par le réflexe du barrage à l’extrême droite, soit car la gauche, une fois au pouvoir, à l’instar du mandat de François Hollande, adoube les réformes passées puis en invente de nouvelles.

Si le mouvement social qui s’achève a bel et bien remis les syndicats au cœur du jeu démocratique, il en a paradoxalement souligné l’extrême faiblesse stratégique. Sortir de cette impasse ne sera pas facile, mais la question du rapport de force devra être posée.

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