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Echec institutionnel et percée travailliste

Le président sortant, Muhammadu Buhari, voulait faire de l’élection du 25 février un exemple de démocratie. C’est un contre-exemple qui s’est produit. La victoire suspecte de Bola Tinubu, richissime protégé de Buhari et ex-gouverneur de Lagos, est une défaite pour la démocratie nigériane et également pour la jeunesse qui s’était mobilisée en majorité derrière le candidat travailliste que personne n’attendait, Peter Obi.    
Nigeria

Géant de l’Afrique subsaharienne aux 215 millions d’habitant·es dont la moitié n’a pas encore 18 ans, le Nigéria méritait mieux. Mieux qu’un président élu de 70 ans qui baigne dans les affaires et les scandales depuis plus d’une trentaine d’années et mieux qu’un processus électoral bâclé, entaché de violences, d’intimidation, de non-prise en compte de voix et potentiellement de fraudes.

Les chiffres officiels déclarent 25 millions de bulletins valides et une victoire avec 37% des voix pour Bola Tinubu du All Progressive Congress (APC), le parti du président Buhari qu’on pourrait approximativement qualifier de centre droit. Il est arrivé devant Atiku Abubakar (29% de voix) du People Democratic Party (PDP, centre droit également), le parti de tous les présidents – excepté Buhari – depuis la fin de la junte militaire en 1999. Enfin, il a également obtenu plus de suffrages que Peter Obi, le candidat travailliste que personne n’attendait et qui a réussi à récolter 25% des voix.

Ce score repose sur une participation particulièrement faible de 27% seulement qui soulève un grand nombre de questions. Selon les chiffres officiels, deux tiers des 87 millions des personnes s’étant dotées d’une carte de vote, souvent après des heures d’attente, n’ont pas pu voter. Un doute de plus en plus lourd plane quant aux nombres de voix perdues ou non comptabilisées. Les nombreuses «irrégularités» aux bureaux de vote, largement documentées dans les médias, renforcent le manque de confiance généralisé vis-à-vis de la classe politique nigériane et de l’Etat dont elle dépend. Ce sera à la justice de trancher si l’élection présidentielle doit être reconduite. En attendant cette décision, la colère et la frustration grandissent et les possibilités pour le Parti travailliste de capitaliser sur cette frustration émergent.

Cette potentialité et le bon score de Peter Obi restent cependant une maigre consolation, alors que plusieurs sondages le donnaient gagnant. Cet ancien gouverneur de l’Etat de l’Anambra, homme d’affaires et ex-politicien du PDP, avait fait le choix de rejoindre le Parti travailliste pour se lancer dans la course présidentielle, alors que cette formation était devenue politiquement insignifiante au Nigéria depuis son boycott des élections de 2015.

Si Obi n’a pas réussi à gagner les élections, il a néanmoins réussi à redonner du poids au Parti travailliste. Malgré son opportunisme et son passé d’homme d’affaires éloigné des réalités des travailleuses·eurs, le retour du Labour Party comme un acteur de poids de la politique nigériane est à saluer. Osons espérer que ce retour se pérennise au-delà de la personnalité de Peter Obi et de la contestation des résultats des élections. Malheureusement, rien n’est moins sûr.

Paru dans Pages de gauche no 187, printemps 2023, pagesdegauche.ch

Opinions Agora Hervé Roquet Nigeria

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