Un drôle de bestiau est sorti des urnes, à Genève, il y a dix jours. Un bestiau qui tient de ce que dans le folklore moyenâgeux on appelait une chimère et qui, élections obligent, se présente comme une «alliance»: celle de la droite genevoise presque au complet. Et qui du coup ressemble moins à une alliance qu’à un camion de la Voirie ramassant tous les encombrants du marché politique genevois… La recette est simple: on prend tout ce qui n’est pas à gauche (sauf Maudet), on agglutine, on entasse. La faim (de sièges) justifie les moyens. Et puis, dans le canton de Vaud, la méthode a bien réussi à faire élire une Dittli sortie de nulle part, alors pourquoi pas à Genève faire un «Dittli» avec un Morel, qui a déjà fait la moitié du tour complet de la droite avant de poser sa petite valise au MCG…? Ou un Dugerdil, candidat de l’UDC dont la seule fonction est d’amener aux candidates du PLR les suffrages de l’électorat udéciste, fermement invité par le conseiller municipal Eric Bertinat à se boucher le nez avant de voter et à se confesser après: Eric Bertinat, conseiller municipal UDC, sur Facebook: «Il nous faut composer avec des personnalités qui prônent l’avortement, l’euthanasie, l’homosexualité, le transhumanisme, l’immigration, le féminisme»… Réponse de Nathalie Fontanet: «[Ce] post est immonde il va l’encontre des valeurs que je défends et jamais je ne m’associerai à de tels propos. Je les condamnerai toujours»… Les propos, donc, pas les électeurs qu’ils amènent… Autre réponse, celle-là de la députée PLR Natacha Buffet-Desfayes: «Tu as bien le droit de penser ce que tu veux des partis, mais cracher à la figure de luttes sociales aussi fondamentales (même si je me demande encore pourquoi le transhumanisme fait partie de cette liste…) me paraît franchement ordurier»… Crache où tu veux et sur qui tu veux, Eric, mais vote dans le bon sens…

Pendant la campagne des Municipales de 2020, l’actuelle maire de Genève, la démo-chrétienne Marie Barbey-Chappuis, avait récusé toute alliance avec l’UDC (il est vrai qu’elle était en concurrence avec le PLR Simon Brandt et qu’elle était ouvertement soutenue par une partie de la gauche) en estimant qu’«il fallait des valeurs et un programme commun pour envisager une alliance», que cette communauté de programme et de valeurs, le PDC l’avait avec le PLR et les Vert’libéraux mais pas avec l’UDC. Et que «la situation n’a pas fondamentalement changé depuis», ajoutait-t-elle encore récemment, juste après que Céline Amaudruz a confié au Temps que «sur l’immigration, sur l’islam, mon parti et les positions de Zemmour se retrouvent»…

Mais quoi? Sorti essoré de l’élection du Grand Conseil, le «Centre» est prêt à s’accrocher à n’importe quelle bouée pour rester au gouvernement… et que l’UDC menaçait de partir toute seule à l’élection si le reste de la droite («Centre» compris) ne concluait pas la «grande alliance» à laquelle elle l’appelait. Et à laquelle le «Centre» a accepté d’accrocher son petit wagon: on peut bien faire un petit détour aux principes et essayer d’arriver à la tour Baudet en passant par Canossa… On imagine la candidate de l’ex-PDC, devenu un «Centre» collé à la droite et à l’extrême droite, se rendre à l’Assemblée générale de l’UDC genevoise, en robe de bure, la tête (basse) couverte de cendre, un cierge à la main, toute honte bue, quémander le soutien d’un parti avec lequel le sien ne voulait rien avoir à faire, comme le proclamait, il y a même pas un an, son ancienne présidente Béatrice Hirsch: «Quoi qu’il arrive, il n’est pas possible de s’allier avec l’UDC pour des raisons de valeurs, que ce soit au premier ou au second tour»… C’est le problème des «valeurs» (du Centre ou du PLR): leur cours peut chuter – et retrouver le cours de celles de Credit Suisse.

Et tout ça nous fait irrésistiblement penser à Louis de Funès dans Rabbi Jacob: «Comment? Salomon, vous êtes juif?»… «Comment, y’a des intégristes, des xénophobes, des homophobes, des sexistes à l’UDC?»… «Comment, le MCG est francophobe?»… Ah ben ça alors…