Suisse

Les Aînées entendues à Strasbourg

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, l’association Aînées pour la protection du climat et quatre plaignantes individuelles ont accusé la Suisse d’inaction climatique. Verdict dans plusieurs mois.
Aînées entendues
Pour la première fois de son histoire, la Cour européenne examine une affaire qui concerne le réchauffement climatique en lien avec les droits fondamentaux. KEYSTONE
Justice climatique

Dans la majestueuse salle d’audience de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la fierté est palpable. Les aînées qui attaquent la Suisse en justice entrent cérémonieusement pour s’installer à la place des plaignantes. Quelques mots sont échangés avec les avocat·es. Puis les dix-sept juges de la Grande chambre – dont le Suisse Andreas Zünd – entrent l’un·e après l’autre dans une salle comble.

Pour la première fois de son histoire, la Cour européenne examine une affaire qui concerne le réchauffement climatique en lien avec les droits fondamentaux. L’association Aînées pour la protection du climat – ainsi que quatre plaignantes individuelles – accusent la Suisse d’inaction climatique et de bafouer ainsi leur droit à la vie et à la santé.

> Notre article: Audience historique pour le climat

Les deux représentants du gouvernement suisse ont dénoncé un «procès d’intention». «Pour lutter contre le réchauffement climatique, une formule magique n’existe pas! Les changements ne se décrètent pas par une décision de justice. L’élaboration de la politique climatique est un exercice politique et démocratique», a entamé Alain Chablais, de l’Office fédéral de la justice.

Le gouvernement estime d’autre part que les requérantes n’ont pas démontré de lien de causalité entre l’inaction de la Suisse et les atteintes à leur santé. Alain Chablais a précisé que la Suisse ne contribue qu’à 0,1% des émissions mondiales de CO2 (en 2020).

Le statut de victime des aînées est également contesté par la Suisse. «D’autres personnes sont vulnérables face au réchauffement climatique, comme les femmes enceintes ou les enfants en bas âge», a argué Alain Chablais.

L’ambassadeur suisse pour l’environnement, Franz Perrez, a ajouté que les mesures pour la protection du climat devaient répondre à une pesée d’intérêts. «L’exercice d’ensemble est très délicat. La recherche du meilleur équilibre passe par la participation du peuple aux moyens de démocraties directes. Si celui-ci a rejeté la loi sur le CO2, cela n’empêche pas la Suisse de développer des objectifs consensuels pour atteindre ses objectifs climatiques», a-t-il défendu.

«La Suisse n’a aucune excuse»

D’une voix posée, c’est l’avocate britannique Jessica Simor qui a défendu la cause des Aînées pour la protection du climat. Elle a rappelé le danger imminent que représente l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et la responsabilité des Etats d’agir.

«La vie des femmes âgées est sérieusement menacée par le réchauffement climatique. La chaleur tue les femmes de plus de 65 ans. Et le réchauffement en Suisse est déjà aujourd’hui deux fois plus élevé que la moyenne mondiale, avec 2,1 degrés», a plaidé l’avocate.

Les records de chaleur sont battus année après année et les canicules exposent les aînés – particulièrement les femmes – à une aggravation de leur état de santé. «Chaque demi-degré supplémentaire cause des vagues de chaleur, un stress thermique, et une mortalité plus élevée. C’est attesté par le GIEC. Et l’Office fédéral de la santé public reconnaît lui-même ce phénomène», a déroulé l’avocate.

La Suisse n’a jusqu’à aujourd’hui pas atteint ses objectifs en matière de réduction des gaz à effets de serre. «Nous acceptons que la Suisse décide elle-même des mesures à prendre pour atteindre son objectif. Mais nous demandons à la Cour de fixer l’objectif à atteindre, pour que la législation ait un impact», a poursuivi Jessica Simor.

Ce but doit être suffisamment ambitieux pour prendre en compte la responsabilité historique de la Confédération dans le réchauffement, selon la partie plaignante. «La Suisse n’a aucune excuse. Si un pays aussi riche et technologiquement avancé ne fait pas sa part, quel espoir avons-nous que d’autres réussissent à répondre au défi auquel nous faisons face?» a questionné son confrère Mark Willers.

Parties tierces

L’Irlande, qui a pu s’exprimer en tant que tierce partie, a défendu la Confédération, affirmant que la Cour ne pouvait pas court-circuiter le processus démocratique. «Un seul Etat ne peut pas affronter le problème, nous avons besoin d’une réponse globale», a déclaré sa représentante Catherine Donnelly.

Autre partie tierce, cette fois en faveur des Aînées pour la protection du climat, une représentante du réseau européen des organisations nationales des droits humains, a appelé la Cour à user de son pouvoir pour lutter contre les dommages climatiques irréversibles. «Peu de gens ont le pouvoir de changer le cours de l’histoire. Vous l’avez», a déclaré Jenny Sandvig à la Cour.

Face aux questions des juges, la Suisse a dû admettre qu’elle n’avait pas calculé son budget carbone restant jusqu’en 2050 (soit la quantité maximale de carbone qu’elle peut émettre). «Nous avons toujours adopté un objectif par année, et un objectif moyen, jusqu’en 2030», a défendu Franz Perrez.

Pour la partie plaignante, cette stratégie est hasardeuse. «Mettre en place des politiques prend du temps. On ne peut pas déclarer en 2049 qu’on atteindra zéro émission nette en 2050», a rétorqué Jessica Simor.

La santé des femmes âgées, population particulièrement vulnérable, est en jeu. A l’issue de l’audience, les aînées sont accueillies par de nombreux soutiens. «Je fais confiance à la Cour pour rendre une décision courageuse», a déclaré Anne Mahrer, coprésidente des Aînées pour la protection du climat.

Le verdict ne sera pas rendu avant plusieurs mois.

plus de 2000 membres dans toute la Suisse

L’association des Aînées pour la protection du climat a été fondée en 2016 avec le soutien de Greenpeace. Aujourd’hui, elle revendique plus de 2000 membres dans toute la Suisse, avec une moyenne d’âge de 73 ans.

D’autres causes sont pendantes devant la CEDH. Cette dernière devait procéder mercredi après-midi même à une audition concernant la France. L’ancien maire de la commune de Grande-Synthe reproche à la République de ne pas avoir pris suffisamment de mesures pour freiner le réchauffement. Il invoque les mêmes dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme que les Aînées pour la protection du climat.

Une autre plainte a été déposée par six ressortissants portugais, âgés de 10 à 23 ans. Ils estiment être menacés dans leur santé par le réchauffement. Ils se réfèrent aussi aux incendies en été et aux tempêtes en hiver qui ravagent régulièrement leur pays depuis 2017. Les recourants mentionnent enfin leurs angoisses face à ces évènements et à leur avenir. Cette cause sera traitée ultérieurement. ATS

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