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Le débat sur le pouvoir d’achat dans l’impasse

Tout augmente, mais les ménages les plus pauvres restent sans aide, déplore Caritas Suisse. Six mois après le débat sur le pouvoir d’achat au Parlement, les réponses politiques sont loin d’être satisfaisantes. Tandis que la pression sur les ménages à faibles revenus ne cesse de croître.
Coût de la vie

Le renchérissement touche particulièrement les ménages aux moyens financiers limités. Il suffit d’examiner leurs dépenses pour comprendre pourquoi. En Suisse, les 20% des ménages aux revenus les plus bas doivent consacrer la quasi-totalité de leur argent aux dépenses de consommation. Il s’agit notamment du logement, de l’alimentation, de la santé et de la mobilité – des dépenses de base sur lesquelles il n’est guère possible de faire des économies. Pour un ménage moyen, ces dépenses de consommation ne mobilisent en revanche qu’un peu plus de la moitié du budget.

Entre janvier et février 2023, le renchérissement a connu une nouvelle hausse pour atteindre 3,4%. Supérieur à ce qu’avaient prévu de nombreux experts, il se répercute particulièrement sur les dépenses de consommation: les prix de l’électricité ont par exemple bondi de 25%. Les denrées alimentaires sont aussi nettement plus chères. Et les coûts du logement, qui augmentent déjà en permanence, risquent de grimper de façon encore plus marquée si le taux hypothécaire de référence doit être relevé en raison de l’inflation. Cela se traduira par une hausse sensible des loyers.

L’indice des prix à la consommation n’inclut pas les primes d’assurance-maladie, qui ont augmenté de 6,6% en début d’année. Les ménages qui ne consacrent que la moitié de leur budget aux dépenses de consommation peuvent s’accommoder de telles hausses, mais ceux qui se situent à la limite du seuil de pauvreté sont dans une situation de plus en plus critique.

Ces considérations ne sont pas purement théoriques: une visite dans les épiceries Caritas suffit pour s’en convaincre. La demande de produits à prix nettement réduits, notamment de denrées alimentaires de base, y a nettement augmenté ces derniers mois. Dans les consultations sociales de Caritas des différentes régions, le renchérissement actuel revient également de plus en plus au centre des discussions. Celles et ceux qui demandent de l’aide savent de moins en moins comment joindre les deux bouts.

Alors que la situation des familles et des individus se péjore, c’est étrangement le calme plat dans le monde politique, six mois après le débat sur le pouvoir d’achat au Palais fédéral. Le Conseil des Etats a rejeté en bloc une augmentation extraordinaire de la réduction individuelle des primes d’assurance-maladie et ne veut rien savoir d’un contre-projet du Conseil national à l’initiative d’allègement des primes1>Initiative populaire socialiste visant à limiter les primes à 10% du revenu.. La nécessité d’un allègement supplémentaire est pourtant manifeste. Mais le principal argument avancé par les conseiller·ères aux Etats pour justifier leur réticence est que les réductions individuelles de primes relèvent de la compétence des cantons.

Les cantons sont toutefois peu désireux de s’engager davantage. Certains ont certes augmenté leurs budgets, mais souvent en deçà de la hausse des coûts. De plus, la situation varie d’un canton à l’autre. Quelques-uns ont légèrement augmenté le plafond de revenu des ayants droit, ce qui permet à davantage de personnes de bénéficier de la réduction de primes. En écho négatif, le Grand Conseil bernois a refusé une hausse de sa contribution à la réduction des primes. Les choses bougent trop peu à l’échelon cantonal pour compenser suffisamment et à grande échelle l’engagement défaillant de la Confédération. Il importe donc d’autant plus que les Chambres s’entendent sur un contre-projet efficace à l’initiative d’allègement des primes.

L’intervention parlementaire pour une pleine compensation du renchérissement pour les rentes AVS et AI ainsi que pour les prestations complémentaires a également été définitivement balayée lors de la session de printemps du Parlement. Le Conseil fédéral a certes accordé une compensation du renchérissement de 2,5%. Mais face à un renchérissement annuel de 2,8%, cela équivaut à une perte de pouvoir d’achat considérable pour celles et ceux qui doivent de toute façon compter chaque franc. Relativiser les conséquences en disant qu’il ne s’agit que de quelques francs par mois, c’est ignorer la réalité des personnes qui doivent vivre avec des budgets très serrés.

En Suisse, la pauvreté est en recrudescence depuis des années. Cette réalité montre clairement les limites des instruments actuels de prévention et de lutte contre la pauvreté. Par ses atermoiements, la politique expose à nouveau les franges les plus pauvres de la population à une crise.

Notes[+]

* Responsable de la communication politique, Caritas Suisse.

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