Agora

Locataires virés pour loger des requérant·es? «C’est faux!»

«Vivre Ensemble» épingle l’Union démocratique du centre. Sur son site d’information asile.ch, l’association reproche au parti blochérien d’«attiser la haine des réfugié·es» à des fins électoralistes. Et questionne le rôle joué par les médias, après examen du traitement de la récente «affaire Windisch».  
Asile

Le sale jeu de l’Union démocratique du centre (UDC) pour remonter dans les sondages en année électorale: annoncer à des locataires qu’ils doivent partir pour laisser la place à des requérant·es d’asile, prétextant n’avoir d’autre choix que de se conformer «aux directives des autorités» et à un respect des quotas d’accueil sous peine de sanction financière. Deux cas ont été relayés fin février par le journal 20Minutes. Or, dans les deux cas, ce sont des responsables politiques UDC qui sont à la manœuvre. Et dans les deux cas, la question des quotas s’avère fallacieuse. Pire: dans l’affaire la plus médiatisée, celle de la commune argovienne de Windisch, il s’avère que les appartements concernés étaient voués à la démolition, et les résiliations de baux motivées par ces projets immobiliers, non pour le logement de réfugié·es.

«Près de 50 locataires virés pour installer un centre de requérants». Annoncée le 27 fé-vrier par le gratuit 20Minutes, l’affaire fait les gros titres, envenime les réseaux sociaux et provoque la consternation de la Berne fédérale: «Le président de l’UDC Marco Chiesa brandit le cas de Windisch pour revendiquer des mesures. A quelques mois des élections, son parti veut imposer le thème de la migration et de l’asile dans la campagne», rappelle la RTS (Forum du 28 février), faisant le lien avec les pronostics des demandes d’asile pour 2023.

L’équation est posée. On pointe du doigt les réfugié·es «trop nombreux», qui «prennent la place des Suisses» et on se présente comme les sauveurs. Si le patron de l’UDC fait mine de tancer son collègue de parti responsable de la lettre de résiliation [le conseiller d’Etat argovien Jean-Pierre Gallati, responsable de la gestion de l’asile] qui finit par s’excuser, l’agitation médiatique fait largement son affaire. Les jeunes UDC lancent une pétition pour venir à la défense des locataires. La haine en ligne déferle. Toujours le 27 février, un sondage Tamedia annonce que la migration est remontée en 3e position des préoccupations des Suisses.

Ce n’est que le 2 mars que la Tribune de Genève revient sur l’«affaire Windisch», avec un des rares articles à remettre en cause la manœuvre: «Mis à la porte pour laisser la place à des réfugiés? Pas si sûr». Les bâtiments, vétustes, devaient être détruits et la résiliation des baux était inexorable, précise le promoteur dans Le Matin du même jour. Et la commune avait mal calculé ses quotas d’accueil.

Si le rôle joué par l’UDC devrait être clarifié, celui de caisse de résonance du gratuit 20Minutes pose question. Celui-ci s’était fait l’écho, trois jours plus tôt, d’un autre cas de résiliation de bail par la commune zurichoise de Seegräben pour y placer des réfugié·es. Là aussi, la lettre est signée par un conseiller communal UDC. Et là aussi, les quotas d’accueil avaient été mal calculés (!).

Pire, la journaliste est allée chercher un autre cas jusqu’en Allemagne, «près de la frontière suisse». Comme pour montrer une généralisation de pratiques. Et, histoire d’attiser les réactions face à une décision injuste subie par les locataires, deux sondages sont proposés sur la plateforme Tamedia Le deuxième est carrément un appel à témoins: «Ton contrat de location a-t-il été résilié parce que ton appartement doit être utilisé pour des réfugiés et des demandeurs d’asile? Ou connais-tu des personnes qui ont vécu une expérience similaire? Ecris-nous.» Le Parti socialiste a adressé une plainte auprès du Conseil suisse de la presse «contre la diffusion non vérifiée de la propagande de l’UDC» et appelle à la soutenir.1>www.sp-ps.ch/kampagne/besch-werde_unterzeichnen/

Jouer au pompier pyromane est une pratique récurrente de l’UDC. Utiliser le manque de places d’hébergement pour susciter un sentiment de submersion et accuser les autorités d’incapacité à maîtriser la situation est son terrain préféré. Les fact-checking de Vivre Ensemble autour du logement et des chiffres des demandes d’asile ont remis en question l’alarmisme ambiant.

Nous sommes en année électorale: les fausses informations vont fleurir. Et les demandeurs et demandeuses d’asile qui, fin 2022, dans un pays de près de 9 millions d’habitant·es, se chiffraient à moins de 15 000 personnes2>Dupont, «Asile: chiffres surinterprétés?», Le Courrier, 16 fév 2023., seront des boucs émissaires désignés: ils et elles ne votent pas.

De par leur impact, les médias ont la responsabilité de rétablir les faits, y compris lorsqu’ils se sont trompés. Ils pourraient aussi cesser d’utiliser ces deux affaires en accroche de leurs sujets. Aucun habitant n’a été expulsé pour loger des réfugié·es!

Notes[+]

* Coordinatrice de l’association Vivre Ensemble. Article paru le 3 mars 2023 en version longue sur: asile.ch/comptoir-des-medias/decryptages-medias/

Opinions Agora Sophie Malka Asile

Connexion