La santé psychique des migrant·es, un droit oublié
Genève a été frappée ces dernières années, et plus récemment ces dernières semaines, par la tragédie de plusieurs cas de suicide de jeunes requérants d’asile. Ces suicides ont suscité une vive émotion. Ils signalent l’échec de la politique migratoire des autorités. En réaction, la majorité du Grand Conseil genevois a voté lors de sa dernière session une résolution à l’adresse de l’Assemblée fédérale lui demandant de protéger les requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) jusqu’à l’âge de 25 ans. Cette résolution reprend les recommandations de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) et de la Cour des comptes genevoise, qui préconisent de mettre en place des prestations d’encadrement permettant un suivi sociopédagogique pour les RMNA ayant atteint leur majorité jusqu’à l’achèvement d’une première formation et l’acquisition des capacités nécessaires pour mener une vie autonome.
Mais est-ce suffisant? La politique fédérale du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) devient de plus en plus restrictive. Son but est visiblement de réduire le nombre des requérant·es et d’expulser plus facilement les personnes déboutées. Ce faisant, la Suisse respecte de moins en moins ses obligations en matière de protection des réfugié·es et des requérant·es d’asile. Pour rappel, ces obligations sont consignées dans des instruments que la Suisse a ratifiés, comme la Convention de Genève de 1951 et son protocole de 1967, la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant.
Le SEM a beaucoup de peine à reconnaître que les requérant·es ont les mêmes droits à la santé que toute autre personne, et que leur santé doit être prise en compte lors de toute décision. Les requérant·es d’asile vivent précairement, dans des foyers surpeuplés et insalubres qui ne respectent pas les normes de base en matière de logement et d’hygiène. Le SEM accumule des retards considérables dans le traitement de leur dossier, ce qui prolonge l’incertitude et l’angoisse chez des personnes déjà fragilisées. En outre, le SEM a déjà eu recours, et menace à nouveau de recourir, au refoulement de demandeuses et demandeurs d’asile vers des pays où ils risquent de subir des mauvais traitements, comme la Grèce et la Croatie. D’autres requérant·es sont mis en détention, notamment des mineurs non accompagnés, en violation de la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant qui interdit la détention des RMNA, et contrairement aux obligations de la Suisse en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits humains.
Les études mettent en évidence un lien entre les politiques migratoires restrictives comme celle du SEM et les problèmes de santé mentale chez les requérant·es. Ces derniers sont confrontés à l’isolement social, des conditions de vie précaires, de longs délais d’examen des demandes d’asile et à la menace d’expulsion. Bien qu’il soit difficile d’établir une causalité directe entre la politique du SEM et les nombreux suicides, ces facteurs de stress entraînent des conséquences graves sur leur santé mentale et augmentent leur propension au suicide. Nos politiques restrictives limitent l’accès des migrant·es à des services de santé mentale et de soutien, ce qui contribue également à augmenter la suicidalité. La Suisse doit se conformer à ses obligations internationales en investissant davantage dans des logements adéquats, en veillant à ce que les requérant·es aient accès à des soins de santé et à une assistance psychologique, à ce que leurs dossiers soient traités rapidement et de manière juste, en veillant à réduire l’incertitude et le stress chez les personnes concernées. Car le droit à la santé, y compris psychique, est un droit universel. La Confédération doit garantir une véritable protection et des possibilités de recours effectif pour les migrant·es les plus vulnérables, en particulier les femmes, les RMNA et les personnes LGBTIQ+.
* Wahba Ghaly, conseiller municipal Vernier et candidat au Grand Conseil; Emmanuel Deonna, député et candidat au Grand Conseil; Gabriel Barta, membre du comité du Centre suisse de défense des droits des migrant·es; Halima Delimi, membre du comité du PS Ville de Genève; Beatriz Premazzi, psychanalyste; Oriana Brücker, conseillère municipale Ville de Genève et candidate au Grand Conseil; Dr Ibrahima Guissé, sociologue; Melete Solomon, conseillère municipale et coordinatrice de l’Association des médiatrices interculturelles (AMIC).