Chroniques

Qui paie ses dettes (à la FIFA)…

L’IMPOLIGRAPHE

Flash-back: on avait d’abord appris que la Ville (de gauche) de Berne avait emprunté 1,8 milliards de francs à la coupole mafieuse du foot-pognon mondial, la FIFA. On a ensuite appris que les villes (de gauche) de Lausanne et de Genève en avaient fait autant, en passant comme Berne par une plate-forme en ligne, Loanbox, qui met 550 emprunteurs (communes, villes, cantons, entreprises publiques) en relation avec des prêteurs qui cherchent à transformer en créances leurs liquidités dormantes, et apprécient de les accorder à des entités publiques rassurantes.

Genève lui a emprunté 600 millions. Dont 150 millions une semaine avant le début du Mondial, que la gauche genevoise dénonçait, tant pour les conditions dans lesquelles la FIFA l’avait attribué au Qatar, corruption à l’appui, que pour l’exploitation, avec la complicité au moins passive de la FIFA, de travailleurs immigrés1>Du «travail forcé», selon Amnesty International, et souvent non payé, selon l’Organisation internationale du travail. œuvrant à la construction des infrastructures nécessaires à cette «grand’messe (noire) du sport». Une grand’messe qui a rempli les caisses de la FIFA grâce aux droits de retransmission télévisée – et que la télé publique suisse a, comme ses consœurs, payés à la FIFA.

Dans un prêt, il y a deux acteurs, aussi responsables l’un que l’autre du prêt: celui qui l’a demandé et obtenu, celui qui l’a accordé. Genève avait besoin de liquidités (il lui arrive de n’avoir pas assez de fonds rapidement disponibles, les rentrées et les sorties de fonds ne coïncidant pas dans le temps). Or la FIFA est riche à milliards (grâce notamment aux droits télévisés). Et comme gérer tout ce pognon lui coûte cher, elle se dit qu’il vaut mieux le prêter que le laisser roupiller sur des comptes. L’emprunteur a donc trouvé son prêteur, et le prêteur son débiteur.

La morale n’y trouve pas son compte, l’éthique non plus. La cohérence entre le discours politique de la Municipalité et les pratiques de la FIFA encore moins, mais les comptables, en revanche, sont satisfaits: l’argent sans intérêts, même s’il pue, est moins cher que l’argent inodore (y’en a-t-il qui sente bon?) mais avec intérêts. Et de toute façon, le «Qatargate» européen prouve que l’argent, même quand il pue, peut tout acheter, même les bonnes consciences. Et pas beaucoup plus cher que les mauvaises.

L’éditorialiste de la Tribune de Genève maugrée: «Emprunter de l’argent à une banque est une chose. L’emprunter directement à un organisme sportif connu pour son agenda politique et ses pratiques peu recommandables en est une autre». Il faudrait alors l’emprunter plutôt à des banques? Mais les pratiques des banques sont-elles toujours plus recommandables, plus transparentes, plus propres que celles de la FIFA? Et qui nous dit que l’argent que prêterait une banque ne viendrait pas de celui déposé par la FIFA (ou un oligarque, une multinationale du pétrole, un mafioso, un trafiquant d’armes)?

Reste que dans sa toute récente «stratégie climat», la Ville de Genève proclame son souhait de «montrer l’exemple et soutenir les démarches propices à une finance plus durable en mobilisant les parties prenantes». Et que son Conseil administratif a annoncé qu’il allait «reconsidérer (ses) pratiques en fonction d’un certain nombre de critères»… Il pourrait déjà, comme l’a fait la cheffe des Finances de Lausanne, rendre publique la liste des prêteurs – à Lausanne, on y trouve des banques cantonales et la SUVA, ainsi que Genève Aéroport, qui avait obtenu un prêt de 200 millions… du canton de Genève. Une sorte d’économie circulaire, quoi.

A Genève, au Conseil municipal, on a beaucoup entendu la droite, dans la posture de qui tombe des nues, sur les «prêts de la FIFA», mais un lourd doute plombait les ailes de l’ange qui passait: ceux qui faisaient des gorges chaudes de ces prêts compromettants (pour l’emprunteur) sont-ils favorables à ce que la surveillance défaillante de l’Etat sur la FIFA soit renforcée? Que la FIFA soit contrôlée par la FINMA [l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers] comme une banque de prêt? Que ce prêteur milliardaire qui se fait passer pour une association afin de n’être imposé qu’à une fraction du taux qui devrait lui être appliqué paie des impôts pour ce qu’il est, et non pour le philanthrope qu’il prétend être?

En 2018, par exemple, année de Coupe du monde, la FIFA a fait un résultat net de 1,8 milliards de francs, et payé en impôts et taxes 1,6% de ses profits. Qui dit mieux – ou, plutôt, qui dit moins, à part la mafia et quelques oligarques russes?

Brisons-là: «Qui paie ses dettes s’enrichit», me serine-t-on depuis que j’ai des dettes (et ça fait plus de cinquante ans…). Ce n’est pas la moindre des âneries dont on m’a gratifié pour faire de moi, sans vraiment y réussir, un bon citoyen consommateur. Voire même un bon candidat au Grand Conseil. Mais moi, ici, dans cette affaire, ce qui m’emmerde, ce n’est pas que la Ville ait emprunté à la FIFA (qui de toute façon, vexée, a fait savoir qu’elle ne prêterait plus à des collectivités publiques). Non. Ce qui m’emmerde, c’est que la Ville l’ait remboursée, la FIFA, et même pas en lémans2>Monnaie locale alternative du bassin lémanique transfrontalier..

Notes[+]

Pascal Holenweb est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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