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Farah et le petit nuage

Conte

Il y a plus de deux mille ans, entre le désert d’Arabie et le désert de Syrie, vivait une famille, parmi d’autres familles qui tentaient de survivre dans des zones cultivables ou pastorales, près d’un cours d’eau, d’une oasis ou d’un oued. Elles habitaient des tentes, plus ou moins grandes, et possédaient quelques moutons, des chèvres, un ou plusieurs chameaux, selon la richesse du patriarche.

Dans une famille pauvre vivait Farah, nom qui signifie «gaîté», une fillette toujours de bonne humeur. Elle voulait absolument cultiver des fleurs et les offrir à sa maman, qui travaillait durement pour nourrir ses enfants. Mais le sol était très dur et ses efforts ne parvenaient pas souvent au résultat espéré, ce qui ne décourageait pas Farah.

Dans le ciel, un petit nuage s’ennuyait, parce qu’il trouvait monotones le bleu du ciel et le gris de ses semblables. Il leur préférait nettement les couleurs de la terre: le vert des prés et des forêts, le brun des champs, le jaune des blés, la poussière blanche des pistes, qui faisait de drôles de dessins et, quand il s’approchait (mais pas trop: sa maman le lui interdisait), les paillettes de couleurs que formaient les fleurs et les robes…

Depuis peu, depuis qu’il avait été poussé au-dessus de Moab, d’après ce qu’on lui avait expliqué, il appréciait tout particulièrement celles d’une fillette nommée Farah. Elle venait tous les jours s’occuper d’une graine qu’elle avait plantée, dans un coin de terre minuscule.

Le petit nuage adorait se promener au-dessus de la fillette. Il l’observait, s’attendrissait de la voir chercher de l’eau dans sa cruche, sarcler la terre, la pétrir dans ses mains. Il venait de préférence aux heures les plus chaudes, lui faisait un peu d’ombre, se permettait même de lui caresser la joue, et la fillette le remerciait d’un sourire, ce qui suffisait à le rendre heureux jusqu’au
lendemain.

Les semaines passèrent. Un peu partout dans la région, on percevait une nervosité qui allait grandissant. On parlait d’un enfant sacré, d’un miracle, d’une étoile magique qui guidait les pèlerins vers un lieu précis, en Judée, au-delà de la mer Morte. Beaucoup de bergers se rassemblaient dans toutes les régions, munis de leur gibecière contenant des provisions (pain, olives, fruits secs, fromage), d’un gourdin, d’une fronde, d’un couteau, d’un bâton pour la marche, d’une gourde et d’un pipeau. On racontait même que trois rois mages avaient parcouru des milliers de kilomètres sur leurs montures richement décorées pour venir adorer celui qu’on nommait «le fils de Dieu»: l’un partit d’Inde à dos d’éléphant, le deuxième d’Afrique à dos de chameau et le troisième des sources du Nil, à cheval, pour apporter leurs trésors à ­l’enfant.

Le petit nuage, tout à son bonheur, ne se sentait guère concerné par l’étoile et l’enfant; il ne s’était pas rendu compte qu’il se trouvait presque seul dans l’immense ciel bleu, avec sa maman qui lui défendait toujours de s’approcher de la terre, donc de son amie Farah, ce qui le chagrinait beaucoup.

Or un jour de décembre, il s’aperçut que la fillette, tout affolée, secouait sa cruche avec désespoir: l’oued s’était asséché, il n’y avait plus une goutte d’eau au puits ni dans les environs.

«Que se passe-t-il?» demanda le nuage à sa mère. «La sécheresse», lui répondit-elle, «la terre ne reçoit plus de pluie.» «Et d’où vient la pluie?» demanda-t-il encore. C’était la question que la maman redoutait. «De nous, quand nous nous approchons trop de la terre.»

Alors, le petit nuage n’écouta que son cœur, rempli du visage de Farah, et il bondit vers elle en criant son nom. «Reviens! Reviens!» appela désespérément sa maman en essayant de le retenir… mais il était trop tard, le petit nuage se transformait déjà en pluie, sa mère à sa suite, et toute la famille, que les cris avaient ameutée.

C’est ainsi que la région fut sauvée, que Farah put arroser sa fleur et l’offrir fièrement à sa mère, que les troupeaux s’abreuvèrent de tout leur soûl, que les bergers se mirent en route vers Bethléem avec des outres pleines et que le petit nuage, après une sensation de vertige, se retrouva avec ravissement sur les lèvres de son amie Farah.

*Perly (GE)

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