Samrawit Gebrihiwet, femme libre
Partie d’Erythrée, la jeune femme a traversé la méditerranée depuis la Libye au péril de sa vie. Rencontre.
La mer est belle. D’un bleu profond a peine troublé par les ondes écumantes. Là, sur la méditerranée, une coque de bois partie de Libye, avec à son bord près de 300 personnes (hommes, femmes, enfants), toutes originaire d’Erythrée. Au milieu, Samrawit Gebrihiwet, 18 ans à l’époque. Après quelques heures d’une navigation poussive, le moteur rend l’âme. Pas un bateau à l’horizon et la terre ferme est déjà loin. Juste une vaste entendue d’eau à perte de vue. Durant trois jours, la barcasse vermoulue est ballottée par les vagues, des passagers écopent à tour de rôle pour éviter au rafiot de couler à pic. «Pendant ces trois jours interminables, tu ne penses ni à la faim ni à la soif, raconte Samrawit. Tu te dis juste que tu as envie de vivre…»
Soudain, un avion les survole, puis après quelques heures d’une attente interminable, un bateau au loin se rapproche doucement. Le cœur de 300 personnes chavire de bonheur. A bord du navire, les rescapé·es se voient offrir un repas, ils et elles peuvent se doucher et se changer. Direction la côte italienne.
Nous sommes en 2014. A cette période, l’Italie est plus encline à laisser débarquer sur son sol des migrant·es sauvé·es des eaux. Pour peu que ceux-ci et celles-ci ne s’éternisent pas. «On nous a dit ‘ vous pouvez rester en Italie ou partir. Mais partir c’est mieux…’», raconte la jeune femme. Qu’à cela ne tienne, Samrawit quitte, seule, le foyer où elle avait trouvé refuge, prend un train pour Rome, un autre pour Milan avec comme destination finale la Suisse. Son seul bagage, son courage. Ce sera ensuite Vallorbe, le centre d’enregistrement. Elle y restera dix jours avant d’être affectée au canton de Genève.
«Pendant ces trois jours interminables, tu ne penses ni à la faim ni à la soif. Tu te dis juste que tu as envie de vivre…» Samrawit
Samrawit est née et à grandit à Tesseney, dans le grand sud-ouest de l’Erythrée, une toute petite ville située à 45 kilomètres de la frontière soudanaise. Un peu plus au sud, c’est l’Ethiopie. Elle y passe une enfance tranquille, avec une farouche envie d’étudier. «J’ai toujours aimé apprendre, raconte-elle. C’était un rêve depuis longtemps.» Avant les études supérieures, il lui faut pourtant rejoindre l’armée comme beaucoup de jeunes de son âge. Puis après un an et demi de service militaire, c’est enfin la quille. La joie est cependant de courte durée pour cette jeune femme enrôlée à 16 ans. Elle est rappelée manu militari sous les drapeaux. La décision arbitraire d’un régime autocratique, dirigé par un ancien héros de la guerre d’indépendance devenu président despotique. Persécutions et arrestations sont monnaie courante. Ce qui pousse toute une génération à quitter prestement le pays. Résultat; l’Erythrée se vide d’une bonne partie de sa population. C’est le cas de Samrawit qui décide de fuir avec quelques ami·es. Avec en point de mire, la Libye puis l’Europe en bateau.
Le groupe doit d’abord transiter par le Soudan, à ses risques et périls. C’est que le coin est connu pour ses nombreux kidnappings. Des pirates des sables attendent les réfugié·es qui seront, peut-être, relâchées contre rançon. Après trois nuits de marche sans encombre, voilà la ville de Kassala. Soulagement. Puis Khartoum, la capitale. Avec l’aide de passeurs, le groupe, qui compte maintenant 200 personnes, toutes originaire d’Erythrée, tente sa chance dans le désert soudanais et le sud de la Libye. Prix du passage; près de 1600 francs par tête. Trois semaines dans le désert brûlant du Sahara, alternant marche forcée et trajet en camionnettes. Un enfer.
En Libye, le groupe est mené à Benghazi sur la côte est. Mais le point de départ pour une vie meilleure se trouve à l’ouest, tout près de Tripoli. Le trajet se fait enfermé dans des containers hermétiques. Il faudra une semaine à la cohorte pour rejoindre la capitale libyenne en camion. Les passeurs avancent prudemment, évitant les barrages militaires. «Nous étions serré·es dans ce container toute la journée, se souvient la jeune femme. Il faisait une chaleur étouffante.» Le soir, les occupant·es sont descendu·es sans ménagement dans des coins perdus, à l’abri des regards. Plusieurs fois durant cette semaine, les passeurs sortent des corps inanimés, jetés sur le bas-côté. «Des personnes sont mortes, se rappelle Samrawit. A cause de la chaleur ou de déshydratation.» Un ange passe. Enfin le littoral, et le bateau pour l’Europe.
A son arrivée à Genève, Samrawit est dirigée au Collège Rousseau en classe d’accueil. Elle met ses études entre parenthèse, le temps de sa première grossesse, et débute ensuite un stage de 6 mois aux ressources humaines d’une entreprise. «C’était une grande opportunité de pouvoir effectuer ce stage, raconte t-elle les yeux brillants. J’ai beaucoup appris.» Elle effectue un préapprentissage, puis un apprentissage de 2 ans sanctionné d’une attestation fédérale de formation professionnelle avant de se lancer dans un CFC. Déterminée, la jeune femme se veut libre de ses choix et ambitieuse.
Aujourd’hui Samrawit a 26 ans. Elle est installée à Genève dans le quartier des Charmilles avec son conjoint et ses deux enfants, Fnan 4 ans et Lucas 2 ans. Au bénéfice d’un permis B, elle peut envisager l’avenir plus sereinement. Elle n’oublie cependant pas l’aide qu’elle a reçu de l’AMIC, une association qui favorise l’intégration des réfugié.es à Genève, et surtout du soutient précieux du Centre social protestant (CSP) et de l’école Aimée Stitelmann à Plan-les-Ouates. «Ils m’ont beaucoup aidé dans mon parcours, et je leur serai toujours reconnaissante», dit-elle émue.
Quid de l’avenir ? «J’ai envie de rester en Suisse, dit-elle comme un évidence. J’ai fondé une famille, mes enfants sont nés et scolarisés ici. Et puis, j’ai maintenant envie de poursuivre mes études pour devenir comptable», sourit-elle. L’ambition, toujours. MLE