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Si la fleur est bonne, aussi le fruit le sera

Les mobilisations populaires en Chine dépassent la contestation de la stratégie zéro-Covid en place depuis trois ans. Umberto Bandiera y voit la remise en cause d’un «capitalisme à la chinoise», fortement lié aux marchés occidentaux, qui fonctionne «au détriment des droits humains et environnementaux». Il est temps que la Suisse revoie ses accords de libre-échange avec la Chine, estime le syndicaliste genevois.
Chine

La scène était rarissime dimanche soir pour les téléspectateurs et téléspectatrices du «19h30» à la RTS. Le correspondant à Shanghai déclarait en direct qu’il était entouré d’agents de police, prêts à l’arrêter et à l’embarquer au poste pour des «clarifications». Heureusement il a été relâché juste après. Même situation vécue, toujours à Shanghai, par un autre journaliste, le correspondant de la chaine britannique BBC, arrêté et ensuite libéré. A l’origine de ces tensions et de la répression policière, une vague de manifestations dans plus de vingt métropoles contre le gouvernement et le parti communiste, du jamais vu depuis les événements de 1989. Une situation tellement grave que le premier ministre britannique a déclaré cette semaine que l’«âge d’or» des relations sino-britanniques était désormais terminé. Il a annoncé ensuite vouloir adopter une approche plus pragmatique face au «défi systémique» représenté par Pékin.

Des milliers des Chinois·es ont décidé de descendre dans la rue ces derniers jours pour contester durement les énièmes mesures de confinement prises par les autorités dans l’espoir de limiter, voire éradiquer, la diffusion du Covid-19. Les cas apparemment sont en nette augmentation un peu partout, mais plus particulièrement dans les régions métropolitaines. Après trois ans de «répression sanitaire», toutes les tensions accumulées ont fini pour exploser. Les mobilisations de ces derniers jours ne sont que la pointe de l’iceberg d’un sentiment plus profond d’intolérance face à l’autoritarisme du régime de Pékin. En fait, la répression essaie de couvrir des vulnérabilités que le pays ne peut plus cacher: système sanitaire de plus en plus inégal, marché immobilier à risque d’effondrement, dévastation des écosystèmes et des cultures traditionnelles, pollution industrielle hors contrôle, disparité grandissante entre régions rurales et urbaines, mais surtout une économie en difficulté. Malgré un taux de croissance du PIB toujours élevé (8,1% en 2021), le chômage des jeunes est autour du 20%. Comme l’a indiqué l’ambassade de Suisse dans son dernier rapport: «Les mesures de prévention agressives prises par le gouvernement telles que les tests de masse, les fermetures strictes, les restrictions de voyage, la quarantaine obligatoire, ont réduit la consommation intérieure et la performance du secteur des services, perturbé considérablement les chaines d’approvisionnement au niveau national et international, entrainant ainsi des incertitudes pour l’économie.»

L’exemple le plus marquant de ces tensions grandissantes est représenté par la violente protestation dans la plus grande usine d’iPhone au monde, située à Zhengzhou, dans le centre du pays. Cet énorme complexe industriel est exploité par la société taïwanaise Foxconn, sous-traitant privilégié d’Apple. Avant la pandémie, plus de 300 000 travailleuses et travailleurs y étaient actifs et les cas d’abus étaient apparemment nombreux et difficilement dénoncés. Depuis plus d’un mois, tou·tes les employé·es sont confinés à l’intérieur en «circuit fermé», c’est-à-dire en vivant et en dormant sur place. Un millier d’employé·es avait fui l’usine, poussant la direction à mettre en place un système de primes. Selon certains témoignages, les autorités ont voulu soutenir la production en promettant 2000 yuans (environ 240 francs) pour chaque volontaire. D’autres sources révèlent que, de son côté, l’entreprise proposait un salaire horaire de 30 yuans (4 francs) pour dix heures de travail par jour. Mais quid en cas de positivité au virus? Quarantaine sans salaire! Plus de 1500 travailleurs·euses positifs seraient confinés à l’intérieur de l’usine et les nombreuses heures supplémentaires ne seraient pas forcément payées. Le ras-le-bol ne pouvait qu’exploser en protestation, rediffusée par les réseaux sociaux ces derniers jours.

Le «capitalisme à la chinoise» continue à être fortement lié aux riches marchés occidentaux au détriment du respect des plus élémentaires droits humains et environnementaux. La Suisse devrait observer ces fleurs de liberté qui poussent ces derniers jours en Chine et revoir sa politique extérieure, à commencer par les prochaines négociations de l’accord de libre-échange, toujours en vigueur depuis 2014.

* Secrétaire syndical, Genève.

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