Suisse

Les mandats gênants d’Albert Rösti

Le favori de la course au Conseil fédéral, Albert Rösti, représente le lobby du pétrole. La gauche ne lui privilégie pourtant pas son colistier Hans-Ueli Vogt, issu de l’aile dure de l’UDC.
Les mandats gênants d’Albert Rösti
Albert Rösti a été président de l’organisation faîtière des négociants en combustible Swissoil. KEYSTONE
Conseil fédéral

La crise climatique autorise-t-elle l’élection d’un conseiller fédéral qui a représenté la branche pétrolière? Des scientifiques et activistes climatiques ont lancé la semaine un appel «Non au lobby du pétrole au Conseil fédéral», contre la candidature d’Albert Rösti à la succession d’Ueli Maurer.

L’appel met en lumière les mandats du conseiller national bernois, ancien président de l’UDC, dans la défense des énergies fossiles. Le candidat au Conseil fédéral a été président de l’organisation faîtière des négociants en combustible Swissoil pendant sept ans. Après sa démission en mai dernier, il a été élu la tête d’Auto Suisse, l’association des importateurs suisses d’automobiles.

Parmi les premiers signataires de l’appel, on trouve le philosophe Dominique Bourg et plusieurs auteurs·trices des rapports du Giec, dont la climatologue Martine Rebetez et l’économiste Julia Steinberger. «Je découvre qu’en Suisse, on peut représenter un lobby avant d’être élu à la tête du gouvernement. Au moment de l’urgence climatique, Albert Rösti tient un discours qui va à l’encontre des intérêts de la société et il n’est pas réceptif à l’information scientifique», affirme cette dernière.

«La fabrique du doute»

Les signataires dénoncent «la fabrique du doute» concernant le réchauffement climatique menée par l’industrie des énergies, avec l’UDC, son principal relais politique en Suisse. Le parti se démarque par sa ténacité à freiner la lutte contre le réchauffement climatique. Il avait lancé le référendum contre la loi sur le CO2, et s’oppose, par un nouveau référendum, au contre-projet à l’initiative sur les glaciers, qui vise à atteindre la neutralité carbone en 2050.

«L’UDC relaie les préoccupations de l’industrie fossile, avec Albert Rösti en tête de proue. Il n’est pas anodin de voter pour un lobbyiste des énergies fossiles dans une période où on doit urgemment en sortir», juge Thibault Schneeberger, cosecrétaire de l’association écologiste actif-Trafic et coordinateur de l’appel. Les propos climatosceptiques du candidat inquiètent, d’autant plus qu’il pourrait se retrouver à la tête du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, laissé vacant par Simonetta Sommaruga.

Président de l’UDC, Albert Rösti déclarait, à propos du réchauffement climatique, «on ne peut pas le nier, bien qu’il reste la question de la part de l’activité humaine dans ce réchauffement», dans une interview à 24 heures en 2019. Il n’y a aucun doute que la branche le considère comme un relais bienvenu. «Le comité central remercie Albert Rösti pour son engagement en faveur du commerce de mazout et est heureux de continuer à avoir en lui un allié solide dans la capitale fédérale», déclarait Swissoil en mai, au moment où l’élu UDC quittait la présidence de la faîtière.

Avoir présidé Swissoil est-il devenu gênant pour le principal intéressé? La mention de son mandat à la tête des négociants en combustible a disparu de son site personnel, révélait Watson cette semaine. Elle y figurait encore en août. Interpellé par nos soins, Albert Rösti n’a pas répondu. Il n’a jamais voulu déclarer les revenus de ses mandats. Une analyse de l’association Lobbywatch révèle qu’il détient la troisième place des parlementaires en terme de nombres de mandats rémunérés (16).

Hans-Ueli Vogt tout aussi problématique

La gauche juge ses engagements problématiques. Mais son concurrent, l’UDC Hans-Ueli Vogt, est également considéré comme dangereux, au vu de son combat contre les droits fondamentaux et de sa défense d’une Suisse souverainiste. Le Zurichois était notamment à l’origine de l’initiative sur les juges étrangers, refusée par le peuple en 2018. Choisir l’un des deux candidats relève du choix entre la peste et le choléra, affirment plusieurs élu·es de gauche sous la coupole.

«Je ne vois pas comment donner ma voix ni à l’un, ni à l’autre», réagit la conseillère nationale verte Lisa Mazzone. Pour la Genevoise, l’appel des scientifiques est bienvenu. «Albert Rösti se voit dérouler un tapis rouge. Il est important qu’il se sente observé et qu’il sache qu’il y a une pression de la défense du climat», affirme-t-elle. Les Vert·es appelleront probablement à ne voter pour aucun des deux candidats, selon elle.

Albert Rösti a les préférences d’une partie de la gauche, étant considéré plus à même d’enfiler le costume du conseiller fédéral. «Il est plus collégial, davantage apte au compromis. Il est important de ne pas voter pour le plus idéologue. Sur les questions d’asile, de neutralité, Hans-Ueli Vogt a une vision très étroite», observe la conseillère nationale socialiste genevoise Laurence Fehlmann Rielle.

D’autres s’insurgent contre un «faux calcul». «Albert Rösti est dangereux, parce qu’il a une véritable pensée politique et qu’il est capable de fédérer autour de lui, contrairement à Hans-Ueli Vogt. Sous ses airs sympathiques, il est aussi redoutable que Christophe Blocher, mais en plus habile», juge le conseiller national socialiste Christian Dandrès.

Suisse Sophie Dupont Conseil fédéral

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