Agora

Escale en terres étrangères

Les «Escales siluriennes», cycle de débats sur l’anarchisme lancé fin 2021 à Genève autour du 150e anniversaire du Congrès de Saint-Imier, ont repris à la rentrée, avec une soirée sur le thème de l’internationalisme. Retour d’escale.
Rencontres

Après la pause estivale, les rencontres anarchistes de Genève ont repris et sur un thème de choix: l’internationalisme. Loin d’être propre à l’anarchisme, l’histoire de l’internationalisme se confond avec celle du mouvement ouvrier. Avec comme moment fondateur la publication en 1848 du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels et son célèbre slogan final: «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!» Un appel qui se concrétise quelques années plus tard, quand les courants communistes, anarchistes, sociaux-démocrates et mutuellistes proudhoniens s’unissent au sein de l’AIT, la Première Internationale des travailleurs. Elle durera une dizaine d’années, mais démontre qu’alors l’internationalisme n’est pas un vain mot ou un vœu pieux pour la gauche révolutionnaire. Malgré des moyens de communications très limités, des sections de nombreux pays européens s’organisent et se rencontrent via leurs délégués. Et souvent en Suisse romande d’ailleurs – Genève et Lausanne accueillent les premières réunions en 1866 et 1867.

La Première Internationale se fracture en 1872, peu après la défaite de la Commune de Paris, avec l’exclusion de Mikhaïl Bakounine et de ses partisans. Les fédérations jurassiennes, italiennes, espagnoles et quelques autres se regrouperont alors en une internationale alternative, dite «anti-autoritaire», dont nous commémorons cette année les 150 ans. L’union internationale des travailleurs restera dès lors un objectif, presque mythique et mythifié, pour la gauche. D’autres internationales naîtront et tenteront ensuite de se former sur les cendres de la première, le plus souvent avec un succès mitigé.

L’alliance socio-démocrate de la Deuxième Internationale ne parvint pas à opposer un front uni face aux tensions nationalistes de la Première Guerre mondiale. La guerre a causé la ruine du mouvement, en remplaçant le socialisme par le nationalisme. Le mouvement anarchiste retiendra surtout l’important élan de solidarité des engagées et engagés au sein des Brigades internationales, parties combattre le fascisme en Espagne en 1936-1939, auquel a fait écho plus tard celui des combattants cubains engagés pour soutenir les révolutions en Afrique ou les engagé·es volontaires de tous les pays venus soutenir les Kurdes du Rojava contre l’Etat islamique et les aider à défendre leur projet de société démocratique.

Face au mouvement des travailleur·euses qui tente de s’organiser hors des Etats-nations, le capitalisme, lui, se joue des frontières. Toujours plus. Avec l’observation d’une montée en puissance des marchés globaux et des conglomérats transnationaux. Le besoin d’organisation pour lui faire face est soulevé dans la salle, témoignant de son absence actuelle en dehors des grands mouvements syndicalistes. Le constat est qu’il manque une base commune pour construire un internationalisme révolutionnaire: la chute du communisme et les théories de «la fin de l’histoire» propagées alors par le camp vainqueur ont sonné le glas des idéologies.

Les dogmes sont, à juste titre, considérés avec défiance, mais laissent malgré tout le sentiment d’avoir jeté le bébé avec l’eau du bain. Le courant altermondialiste, qui a d’une certaine manière succédé aux Internationales des travailleurs, a tenté d’apporter une réponse, mais n’a jamais représenté un véritable mouvement doté d’une assise idéologique claire et partagée.

Serait-il dès lors possible de créer une internationale non dogmatique et non autoritaire? Une internationale dotée d’une idéologie libertaire qui servirait de socle de valeurs communes à défendre et à promouvoir autant qu’un réseau de solidarité(s)? Le confédéralisme démocratique promu par les Kurdes du Rojava tout comme le mouvement des Zapatistes font partie des références les plus citées ce soir-là comme exemples à suivre d’un tel projet.

A St-Imier cet été, lors de la commémoration des 150 ans du congrès fondateur de l’Internationale anti-autoritaire, les ateliers animés par les mouvements kurdes et zapatistes ont relayé un même appel: l’internationalisme révolutionnaire a besoin aujourd’hui d’actions en d’autres lieux que le Chiapas et le Rojava, afin de créer une fédération de résistance et d’entraide face à ce capitalisme mortifère. L’internationalisme, finalement, est à commencer chez nous avant de traverser les frontières.

La prochaine Escale a lieu ce jeudi 13 octobre à 18h30 au Silure (3, sentier des Saules, Genève), pour le vernissage du livre Libre nature d’Elisée Reclus, en présence d’Alexandre Chollier.

Opinions Agora Des anarchistes genevois·es Rencontres

Connexion