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Des milliers de producteurs «inutiles»

A la veille de la votation sur l’élevage intensif, Paul Sautebin s’inquiète du sort réservé à la petite paysannerie par la politique agricole fédérale.
Politique agricole

Une fois de plus, après le double «non» aux initiatives anti-pesticides l’an passé, la guerre des tranchés qui se déroule dans les campagnes sur l’élevage intensif est grave. Voire très grave en rapport à l’incurie des politiciens et politiciennes de ce monde face à la crise, climatique et guerrière, de l’insécurité alimentaire et aux autres crises dues au productivisme industriel financiarisé.

L’agriculture et la sécurité alimentaire sont effectivement en crise, localement et globalement. Libéralisée dès les années 1980 au détriment de la souveraineté politique qui la gouvernait, l’agriculture suisse a évolué en fonction de l’offre et de la demande, aux prix du marché mondialisé. La politique menée depuis ces quarante dernières années a anéanti 40 000 exploitations, poussé des dizaines de producteurs au suicide, bureaucratisé la profession, provoqué un effondrement de la biodiversité et contribué au réchauffement climatique. Contrairement à ce que laisse croire la propagande, notre agriculture nourrit avant tout les marchés: l’équivalent de 20% de la surface agricole du pays est exporté en produits laitiers transformés. Ces dernières années, 70 à 90 000 tonnes de céréales panifiables locales ont été transformées en fourrage au profit de 120 000 tonnes de pain et viennoiseries préfabriquées importées.

Les paysannes et paysans sont tributaires de la politique économique fédérale qui les exacerbe au quotidien. Le libéralisme, c’est la concurrence et la concurrence, c’est la division: paysans contre paysans, villes contre campagnes et vice-versa, etc. Les initiatives populaires sur la question agricole ont le très fâcheux défaut d’aborder les effets de la politique agricole plutôt que ses causes. Cette erreur politique a pour conséquence de conduire au désarroi dans les campagnes, alors que la question de l’insécurité alimentaire va nécessairement obliger une refonte de la politique agricole. Le Conseil fédéral et les milieux industrialo-financiers ne manquent pas de cuisiner leurs propres intérêts avec le même poison qui a mis en désordre la sécurité alimentaire, l’environnement et la migration: le sacro-saint libéralisme. Au programme: l’augmentation de la productivité agricole de 50% d’ici 2050, – c’est-à-dire la suppression de milliers exploitations «inutiles» et un auto-approvisionnement via les biotechnologies et la numérisation.

La crise climatique devient une question majeure. La politique agricole doit réinstituer l’agriculture et l’alimentation dans les services de l’Etat, détacher l’agriculture des filières industrielles et commerciales, et faire en sorte que les producteurs retrouvent leur indépendance. Il s’agit de faire de la régulation des marchés nationaux la pierre angulaire de ce combat, afin d’assurer la liberté de la paysannerie, de garantir la sécurité alimentaire et la santé publique dans une visée de justice sociale et démocratique. Là est la souveraineté agricole et alimentaire de la nation.

* Ancien président d’Uniterre Jura-Jura bernois.

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