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De l’invisibilité des femmes

A travers un récent livre de Titiou Lecoq, Huguette Junod appelle à (re)découvrir les rôles et les fonctions au fil des âges des oubliées de l’histoire.
Livre

Pourquoi l’histoire a remplacé les femmes? Dès que j’ai entendu parler de ce livre 1>  Titiou Lecoq, Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes,
Ed. L’Iconoclaste, septembre 2021, préface de Michelle Perrot.
, je l’ai commandé.

En effet, cela fait des décennies que j’étudie le sujet. Titiou Lecoq démontre que l’histoire officielle est pour une bonne part mensongère et trafiquée, faite d’oublis ou d’invisibilisations en ce qui concerne les luttes sociales et les combats contre les oppressions, notamment celui des femmes pour l’égalité, leurs droits, leur dignité, leur vie.

Les hommes ont pris toute la place. Titiou Lecoq explique le phénomène avec humour et ironie; avec colère aussi, elle nous fait découvrir des portraits de femmes, des vies, des évènements, des situations entre la préhistoire et aujourd’hui. Elle raconte à quel point les femmes ont été opprimées, rabaissées, insultées, maltraitées, violées, assassinées, mises de côté, effacées, invisibilisées.

J’ai apprécié les passages mis en évidence en gros caractères sur une page entière, par exemple: «Ce qu’ont imaginé les premiers préhistoriens n’était que la copie de l’organisation sociale qu’ils connaissaient.» Dans certains groupes de chasseurs-cueilleurs, les femmes chassaient aussi, on a retrouvé des tombes qui le prouvent. Elles taillaient des silex, peignaient sur les parois des grottes (un grand nombre de mains sont des mains de femmes).

Contrairement à l’imagerie qu’on en a, la cueillette était épuisante: 3 à 20 km par jour, trois jours par semaine, en transportant au retour entre 7 et 15 kg de nourriture végétale. La ménopause est un atout évolutif: les grands-mères peuvent s’occuper des enfants pendant que les mères cueillent et chassent, alors que chez les autres primates, les femelles meurent peu après la ménopause.

Elle le relève aussi, à l’école, on ne nous parlait pas des travaux et des œuvres des femmes. Ce ne fut que bien plus tard, quand j’ai fréquenté les milieux féministes, dès 1970, puis suivi les études genre (1995-1998) que j’ai découvert les multiples apports des femmes en arts et en sciences. Hypathie (355-415), philosophe, astronome et mathématicienne grecque de renom, à la tête de l’école néoplatonicienne d’Alexandrie, fut assassinée par des chrétiens fanatiques en 415. Ada de Lovelace, née Byron, a réalisé le premier programme informatique sur un ancêtre de l’ordinateur.

L’ADN fut découvert par Rosalind Franklin, morte avant que le Nobel ne soit attribué à James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins, qui lui avaient dérobé ses travaux, sans qu’elle soit mentionnée. La première personne à avoir compris que l’invention du cinéma pouvait servir la fiction est une femme: Alice Guy. Elle tournera dès 1896 plusieurs de films courts, comme ils l’étaient à l’époque. Mais c’est à Georges Méliès que l’histoire attribue le mérite de la première fiction. Robert Schumann signait les compositions de sa femme Clara.

Une seule femme est reconnue à sa juste valeur: Marie Curie. On ne pouvait tout de même pas ignorer celle qui découvrit le radium et obtint deux prix Nobel (physique et chimie). Cependant, il y a quelques décennies, dans le Petit Larousse, elle n’apparaissait pas sous son nom, mais sous celui de son mari!

Le livre de Titiou Lecoq nous apprend que les femmes ont été partout, notamment au Moyen-Age: elles étaient artisanes, ferrones, tavernières, enlumineuresses, bâtisseuses de châteaux et de cathédrales, médecines, mairesses, bailleuresses, ménestrelles, chevaleresses, archières, aussi écrivaines, peintresses, musiciennes, pionnières dans l’aviation. Elles furent de toutes les révolutions populaires.

Le livre de Titiou Lecoq est la nième tentative de rendre justice aux femmes. Rappelons Le dictionnaire universel des créatrices (ed. des femmes, 2013) et ses 1600 auteur·es de tous les continents, 12 000 articles, 5000 pages en trois volumes.

Depuis le mouvement #MeToo, fondé en 2007, particulièrement connu depuis octobre 2017 à la suite de l’affaire Weinstein, il semble que le vent tourne: on recherche des femmes, on les met en évidence, on leur rend ce qui leur appartient, enfin!

Notes[+]

Huguette Junod est écrivaine.

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