Chroniques

Debout les damnés du bitume, debout les forçats du béton!

L'Impoligraphe

C’est joli, comme mot, le «dégrappage», ça fait un peu vendanges, petit moût qu’on boit sous la tonnelle, vendémiaire en messidor… mais ne vous y fiez pas: à Genève, ça désigne un crime d’Etat. Une agression du bitume. Un surinage du goudron. Parce que des militantes et des militants d’actif-trafiC et de Survap ont, dans le quartier sur-densifié et sous-végétalisé des Pâquis, sauvagement agressé le 22 juin, au marteau-piqueur (là, évidemment, la faute de goût est patente) des places de parking avec le projet de mettre à l’air libre quelques centimètres de terre où planter quelque chose d’autre qu’une bagnole immobile. Des terroristes, on vous dit. Du coup, la polémique enfle, non tant contre les militants, mais contre la conseillère administrative (verte) Frédérique Perler, accusée d’avoir été complice de l’action des militants en les aidant à ce qu’ils ne fassent pas de dégâts dans les innombrables canalisations et réseaux qui serpentent sous nos rues. Au fond, elle a appliqué une sorte de principe de précaution, la conseillère administrative: un marteau-piqueur, faut pas qu’il pique n’importe où, ni trop profond. Là, il a piqué à 7 centimètres. Cela doit être la distance qui sépare le rôle d’une conseillère administrative tel que le conçoit la droite municipale, du rôle tel que le conçoit la conseillère administrative elle-même.

Le Conseil administratif a sollicité un magistrat retraité de l’ordre judiciaire pour faire «toute la lumière sur le déroulement des faits». Il faudrait sans doute aussi solliciter un syndicaliste retraité du secteur de la construction pour faire «toute la lumière» (Post Tenebras Lux) sur les risques de l’usage du marteau-piqueur et l’utilité d’avoir dissuadé les militants de Survap et d’actif-trafiC de percer plus profond. Et accessoirement, sur l’utilité qu’il y aurait eu à les dissuader de mener leur action à l’aide d’un marteau-piqueur. C’est bruyant, un marteau-piqueur. Et le bilan carbone de son usage ne doit pas être exemplaire.

Un crime odieux a donc été commis aux Pâquis: un bitumicide. Et la conseillère administrative est accusée, pour le moins, de complicité. Le PDC annonce qu’il va demander au Conseil d’Etat d’entamer contre elle une procédure disciplinaire et demande au Parquet d’instruire l’affaire sous l’angle de l’«abus d’autorité», un délit pénal qui n’a rien à voir avec ladite affaire. Le PLR qui ne pouvait être en reste annonce qu’il demandera la démission de Frédérique Perler s’il s’avère qu’elle a été complice. Personne n’a encore exigé le bûcher, on peut donc, du moins pour le moment, s’abstenir d’invoquer les mânes de Sebastien Castellion, en hommage à qui nous inaugurâmes il y a dix jours une plaque, au pied du Collège Calvin.

L’acte d’accusation dressé contre Frédérique Perler porte sur sa supposée complicité avec une action certes illégale, mais totalement contrôlée et surtout parfaitement légitime, dans le quartier le moins végétalisé de Genève. Et les accusateurs, les juges instructeurs bénévoles, les enquêteurs autoproclamés, volant comme les emmerdements en escadrille, s’abattent sur la magistrate: le canton demande des explications et n’exclut pas une enquête disciplinaire, voire des sanctions; toute la droite est montée au créneau pour dénoncer la conseillère administrative, voire la sommer de démissionner. Et 29 conseillères et conseillers municipaux de droite ont obtenu que le Conseil municipal tienne une séance extraordinaire le 5 juillet pour «entendre la magistrate Perler en lien avec le dégrappage du bitume à la rue des Pâquis». Et l’édition genevoise de 24 Heures lui fait la morale, à la magistrate: elle doit choisir entre les casquettes, distantes de 7 centimètres, de magistrate et d’activiste. Et tant pis si elle a peut-être été élue magistrate parce qu’elle était aussi activiste: ça ne rentre pas dans le cadre de la prédication de la Tribune.

Bref, aujourd’hui se tient à l’Hôtel de Ville, en séance extraordinaire du Conseil municipal, le procès intenté par la droite municipale genevoise (MCG, UDC, PLR, «Centre» droitisé) à la magistrate restée activiste, ou à l’activiste élue magistrate. Un procès pour rire pendant une séance pour rien (sinon des jetons de présence, à moins qu’on accepte d’y renoncer), mais qui nous donnera tout de même l’occasion d’exprimer notre soutien à qui le mérite: à Survap, à actif-trafiC. Et aux chtites fleurs et aux gros arbres qui pourraient pousser à travers le bitume, à la place des parkings.

Et nous qui sommes nés à l’engagement politique en un temps où fleurissait le slogan «sous les pavés la plage», et le voyons rebourgeonner en «sous le parking, la terre», on se surprendra peut-être à fredonner in petto, mais le poing levé (et une fleur dans le poing) «Debout les damnés du bitume, debout les forçats du béton»…

Pascal Holenweg est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

Chronique liée

L'Impoligraphe

lundi 8 janvier 2018

Connexion