Le mot du traducteur

Santiago Basurto évoque la «difficulté heureuse» à transposer en français ce qui fait la force du texte de l’écrivaine équatorienne Mònica Ojeda: la langue crue et imagée d’une enfant, son monde sans tabou.
Le mot du traducteur 1

La puissance des mots d’enfants, voilà sans doute la cardinalité qui a guidé ma traduction. Cette petite fille regarde son monde avec une poésie naturelle, authentique, une poésie qui n’est pas innocence mais lucidité extrême. Elle nous fait vivre l’expérience du sang, de sa relation intime avec cette rivière intérieure. Les tabous sont dépassés parce que son réel, celui de «Grenouille», transgresse volontairement la pudeur d’une certaine bienséance. Transgression qui la mène à l’isolement dans la montagne avec sa grand-mère, la bouchère sorcière, celle qui avorte les femmes. Encore un tabou qu’il s’agit de dépasser. Ici le sang est relation, il lie l’intérieur du corps à la lumière du soleil, les formes naturelles au mouvement circulaire des têtes de poules fraîchement décapitées, c’est la rondeur riche du cerveau de cette petite fille. Une rondeur «divine» parce que naturelle, une rondeur qui ne saurait se contraindre à l’injonction sociale.

De là provient certainement la difficulté heureuse qui se présentait à la traduction de ce texte. Il s’agissait de faire ressortir la singularité culturelle et caractérielle de cette petite fille tout en restituant l’universalité des problématiques féministes que dégage le texte. C’est là le tour de force qu’impose une esthétique comme celle de Mónica Ojeda.

Santiago Basurto

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