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«‘Le Courrier’ est-il encore un journal pacifiste»?

Revenant sur notre article «Les erreurs occidentales qui ont conduit à la guerre en Ukraine», Dominique-François Petite déplore son orientation en faveur d’un réarmement.
Relations internationales

L’article à propos des «erreurs occidentales qui ont conduit à la guerre en Ukraine» s’inspire d’une rhétorique belliqueuse. En pointant les «faiblesses des Américains et de leurs alliés de l’OTAN», il souhaite, à demi-mot, le réarmement, l’augmentation du budget attribué à la Défense nationale ou l’adhésion à l’OTAN. Le Courrier est-il encore un journal pacifiste? Contribue-t-il à juger les pacifistes comme des gens défaitistes ou, pire, avec ceux qui se compromettent avec les dictateurs et les envahisseurs? La brutalité de la guerre actuelle devrait au contraire attiser la pensée pacifiste et confirmer la solidité de ses positions.

Mais qu’est-ce qu’aujourd’hui le pacifisme? Pour tenter de le définir, il est nécessaire au préalable d’affirmer la primauté de la démocratie sur l’aristocratie (les meilleurs gouvernent), sur l’oligarchie (une caste détient le pouvoir), sur la ploutocratie (les plus riches, par exemple les marchands de canons, dictent les décisions politiques) et, surtout, sur la dictature. Et ensuite, de considérer la démocratie comme une organisation en perpétuel devenir, en construction et en réparation, à l’œuvre universellement. Enfin, de voir une ligne qui court d’un pacifisme moral (la guerre est, ou n’est pas, un Mal absolu) jusqu’à un pacifisme politique (il existe, ou il n’existe pas, de guerres justes), avec toutes les gradations possibles entre ces deux extrêmes.

Dans ce champ de réflexion, on peut repérer cinq idées maîtresses:

1. L’acceptation réciproque de la réalité des frontières. Elles permettent paradoxalement la diversité des systèmes politico-juridiques de chaque Etat, leur adhésion progressive, en dépit de leurs différences, à des règles communes (le droit international) et l’abandon partiel de leur souveraineté. L’instauration d’un fédéralisme mondial est le but lointain à atteindre. La création de nouvelles frontières est un droit (droit à l’autodétermination d’une population qui veut s’émanciper de la tutelle d’un Etat). Cette lente procédure, malgré les conflits qu’elle génère, se fait selon des critères démocratiques (l’existence d’une pleine liberté d’expression notamment). C’est, jusqu’au bout, miser sur une issue pacifique sans recours à la lutte armée, même si les possibilités d’une telle résolution sont infimes;

2. Le rejet d’une pensée militariste. Il s’agit de ne pas raisonner en termes de victoire sur l’ennemi, de paix après la victoire, de ne pas croire qu’en se préparant à la guerre on sauvegarde la paix, ni que l’équilibre des forces armées est un facteur de paix. Il ne s’agit pas non plus de prôner une cohésion nationale sans faille, en faisant taire toute opposition ou toute critique. Le processus de décision et les raisonnements au sein d’une armée sont l’antithèse de la démocratie;

3. Le désarmement progressif et global, obtenu par la négociation au sein d’organisations internationales. Concernant la Suisse, du fait de sa situation géopolitique, un désarmement unilatéral est raisonnable. Concrètement, dans les mois qui viennent, une persévérante contestation de l’augmentation du budget destiné à la défense nationale et de l’achat de nouvelles armes reste primordiale;

4. L’élargissement du domaine international en renforçant les organismes communautaires et les aires de délibération entre tous les pays, non seulement entre les gouvernements étatiques, mais aussi entre les peuples, leurs sociétés civiles. C’est dire une volonté de dialoguer avec les minorités et les dissidents de ces peuples, avec leurs artistes, avec leurs sportifs, avec les migrants, les réfugiés, avec ceux qui ne veulent pas se battre avec une arme létale;

5. Le maintien d’un lien, aussi pauvre et contraint soit-il, avec les dictateurs, les despotes, les autocrates, les impérialistes. C’est laisser une ouverture très étroite pour une écoute réciproque, permettant un cessez-le feu, des réparations après une guerre et la prévention de nouveaux conflits armés.

Après la Première Guerre mondiale, un militant pacifiste, particulièrement pugnace et provocateur, lançait ce slogan qui nous interpelle encore un siècle plus tard: «Plutôt la servitude que la guerre, car de la servitude, on s’en sort, de la guerre, on n’en revient pas.» Les espoirs ne se logent pas dans les victoires des armées, mais dans l’émancipation de toutes les servitudes.

Notre invité est de Lully, GE.

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