Le mot de la traductrice – Gabrielle Pirotte

Gabrielle Pirotte évoque le défi de traduire l’humour au cœur de la nouvelle de William F. Nolan, un pastiche de Ray Bradbury, et la difficulté à transposer les références intertextuelles à l’œuvre de ce dernier.
Le mot de la traductrice - Gabrielle Pirotte
Gabrielle Pirotte. DR

Traduire l’humour… C’était une première pour moi, un défi que j’ai décidé de relever en m’attaquant à The Dandelion Chronicles, une nouvelle de William F. Nolan. Ce texte, un pastiche de Bradbury, retrace l’aventure d’un capitaine et de son équipage, alors que ces derniers tentent de s’envoler à la conquête de Mars. Je savais que ce ne serait pas une mince affaire à traduire. En effet, dès la première lecture, les difficultés sautent aux yeux: les cascades d’adjectifs, les énumérations, les phrases à rallonge, les jeux de mots, les allitérations ou encore les nombreuses – très nombreuses – références à Bradbury, à commencer par le titre lui-même, sur lequel je reviendrai, qui fusionne deux ouvrages de Bradbury: Dandelion Wine et The Martian Chronicles. Il s’agissait également de reproduire le style et le ton de Bradbury tout en l’accentuant et en l’exagérant. En tout cas, une chose était sûre, je ne risquais pas de m’ennuyer, et le soutien de ma mentore, Josée Kamoun, n’a pas été de trop pour m’aiguiller et me rassurer dans mes choix.

Au fil de la traduction, nous nous sommes rendu compte que les difficultés repérées n’étaient que la partie émergée de l’iceberg. Le texte, à première vue truffé d’éléments complètement absurdes, est en fait doté d’une cohérence interne complexe et mêle subtilement la poésie à la loufoquerie. Ainsi, Nolan file la métaphore de la fête foraine pour minorer les péripéties des personnages et prendre du recul sur l’histoire. Tout comme Bradbury, ses descriptions sont évocatrices et sensorielles, mais de manière exagérée, et l’on ne sait s’il faut les prendre au sérieux ou non. J’ai essayé de conserver cette ambiguïté qui apporte de la richesse au récit et déstabilise le lecteur. J’ai également noté une sorte de décalage, que ce soit dans les réactions des personnages ou dans le vocabulaire qu’ils emploient, qui contribue à installer une atmosphère surréaliste et fantasque.

Compte tenu de la complexité linguistique et syntaxique du texte, puisque Nolan joue énormément avec la langue, il m’était impossible de reproduire tous les effets de l’original. Je me suis donc attachée à m’immerger dans le texte source et à identifier l’intention de l’auteur et le ton recherché afin de les restituer dans ma traduction tout en les adaptant à la langue et au lectorat cibles.

Comme je l’ai mentionné plus haut, l’un des principaux défis de cette traduction a été la transposition des références intertextuelles à Bradbury. Il pouvait s’agir de références évidentes comme des titres, ou moins évidentes comme des passages ou des éléments tirés de son œuvre. J’aimerais m’arrêter un moment sur ma traduction du titre The Dandelion Chronicles par Les chroniques de la Baleine d’or, traduction qui m’a donné du fil à retordre et qui illustre bien la nature des difficultés que représentent les références intertextuelles ainsi que la manière de les aborder. Si le titre The Martian Chronicles a été traduit de manière littérale par Chroniques martiennes, le roman Dandelion Wine, lui, a été traduit en français par Le vin de l’été. Je tenais à conserver la référence aux Chroniques martiennes, car il s’agit de l’œuvre la plus connue de Bradbury. Toutefois, Dandelion (pissenlit en français) fait écho au vaisseau spatial de l’histoire, qui ne pouvait s’appeler «vin» ou «été». Je me suis donc tournée vers d’autres titres de Bradbury et mon choix s’est arrêté sur son roman La baleine de Dublin, la baleine étant une forme et un nom plausible et drôle pour un vaisseau. Il est vrai que l’image renvoyée est à l’opposé de celle d’un pissenlit, mais justement, il s’agit d’un extrême, ce qui reste dans l’esprit du récit de Nolan; et après tout, transmettre l’esprit, n’est-ce pas le cœur de la traduction?

Gabrielle Pirotte

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