2022: l’année de tous les dangers pour les locataires (suite)
Dans ma précédente chronique, il a été question des attaques menées au parlement fédéral contre la protection des locataires confronté·es à un congé abusif. Les anciens conseillers nationaux Egloff (15.455) et Merlini (18.475) proposaient de faciliter la résiliation en cas de sous-location et pour le besoin du bailleur ou d’un proche. Deux initiatives ont été acceptées et ont fait l’objet d’une consultation achevée en décembre. Elles reviendront en discussion au parlement cette année encore et trouveront certainement une majorité grâce à la droite. Elles pourraient supprimer le droit à la sous-location et désactiver la protection contre les congés de représailles.
Selon la même méthode du salami que celle utilisée pour supprimer le droit de timbre, la droite procède par étapes. Ceci oblige les opposant·es à lancer plusieurs référendums et à engager de gros moyens financiers. Or, l’Asloca et les autres organisations qui soutiennent les locataires ne disposent pas des mêmes ressources financières que les milieux immobiliers. Saucissonner les attaques facilite aussi le travail de ces derniers, puisque la dynamique d’ensemble est plus complexe à percevoir pour la population, qui risque de se laisser tromper.
Une fois achevées les campagnes de votation sur ces deux textes, la droite va embrayer avec deux autres initiatives parlementaire d’Egloff (16.451 et 17.493) concernant la contestation du loyer abusif.
Hans Egloff, qui préside l’Association suisse des propriétaires (Hauseigentümerverband), a porté au Conseil national un programme de démantèlement du droit du bail. Après la facilitation des congés, il souhaitait empêcher la contestation du loyer initial (initiative 16.451) et libéraliser sa méthode de calcul (initiative 17.493).
Si l’initiative 16.451 était acceptée, le locataire ne pourrait plus contester son loyer initial en invoquant la pénurie de logements. Il s’agirait d’un coup très dur contre le droit du bail, qui permet aujourd’hui de s’opposer au loyer après avoir signé le bail et emménagé. Egloff veut restreindre ce droit au seul locataire pouvant «démontrer qu’il s’est trouvé acculé par la nécessité et qu’il ne pouvait donc pas raisonnablement trouver un autre objet locatif». Il gomme ainsi, en se prévalant fallacieusement du principe de la bonne foi (!), le système destiné à compenser le fait que le locataire est la partie faible au contrat et qu’il n’est pas en mesure de négocier les conditions locatives, surtout lorsqu’il y a pénurie de logements.
Même le Conseil fédéral, dans son message accompagnant les dispositions du droit du bail en vigueur, reconnaissait cette asymétrie fondamentale: «(…) il serait erroné de croire, au vu des circonstances et des motifs subjectifs certainement dignes de protection qui les animent, que les locataires ont la possibilité de réagir aux augmentations de loyers et de chercher un autre logement, se comportant ainsi conformément au modèle économique type d’un marché fonctionnant plus ou moins normalement. Pour le locataire, l’enjeu du contrat n’est pas seulement de satisfaire un besoin élémentaire, mais aussi de constituer le centre de ses relations familiales, sociales et économiques, gages, du moins normalement, d’une certaine stabilité. Telle est la conception à la base de tout le droit du bail et en particulier des dispositions qui régissent la protection contre les congés.1>FF 1985 I 1377.»
Cette initiative frappe donc le cœur de la protection des locataires. Mais Egloff ne s’est pas arrêté là. Dans une autre initiative toujours en suspens (17.493), il propose de compléter l’arsenal des bailleurs en facilitant les majorations de loyers (loyers usuels du quartier).
Ces attaques interviennent alors que la situation sociale de beaucoup de locataires se dégrade. Un rapport commandé par l’Office fédéral du logement relève que 8000 locataires risquent de perdre leur logement parce que le loyer est une charge trop importante dans leur budget. Ce rapport précise aussi que la spéculation immobilière impose à ces locataires de se restreindre, pour conserver leur toit, sur des dépenses aussi essentielles que la formation, les soins et l’alimentation.
C’est donc un nouveau tour de vis brutal que les représentants des milieux immobiliers à Berne s’apprêtent à imposer à la majorité de la population qui est locataire. Affaire à suivre.
Notes
Christian Dandrès est conseiller national et juriste à l’Asloca. Il s’exprime dans cette chronique à titre personnel.