La santé des adolescent·es issu·es de la migration nécessite une approche globale
L’adolescence est une étape de la vie charnière et souvent difficile au cours de laquelle le ou la jeune doit s’adapter à des modifications morphologiques (et donc au regard des autres) mais également d’ordre neurobiologique et psychologique, avec un éveil au monde parfois compliqué: la crise en lien avec la pandémie en est le révélateur. Les repères sociaux sont moins solides et les projets de construction de vie plus difficiles à imaginer. Beaucoup d’adolescent·es y perdent leur «boussole», d’autant que souvent le milieu familial est aussi fragilisé. Et les décrochages dans la formation et dans la vie sociale sont nombreux.
Pour un·e adolescent·e issu·e de la migration, le parcours avant d’arriver chez nous est souvent marqué par des deuils ou des séparations, des violences et des traumatismes majeurs liés parfois à des menaces de mort. Même si, souvent, ces jeunes montrent une résilience incroyable, les troubles psychiques sont nombreux et doivent être reconnus rapidement. On estime ainsi que presque les trois quarts des mineur·es arrivé·es seul·es en Suisse souffrent d’un stress post-traumatique: c’est dire si l’accompagnement psychologique est important.
Cela me rappelle un jeune arrivé avec sa mère, son petit frère et sa petite sœur en 2016 grâce au regroupement familial. Leur père, d’origine érythréenne, avait obtenu un permis F deux ans plus tôt. L’adolescent de 12 ans est intégré à l’école mais il ne participe à rien; il est mutique et s’enfuit régulièrement de l’école, pris de panique, pour retourner à la maison. Il devient compliqué de le garder en classe et c’est pourquoi je le vois. La première consultation est difficile, avec un jeune terrorisé, un père qui n’a plus vécu avec lui depuis plus de deux ans et ne le comprend pas, une mère qui nous dit que l’école n’était déjà pas son fort dans son pays, que pendant les trois semaines de voyage à pied pour se rendre à Addis-Abeba, c’était très dur et que, depuis, il ne parle plus, même dans leur langue.
Je ne lui trouve rien de somatique ni aucune évidence de maladie neurologique; une prise en charge psychologique est organisée et on lui trouve une place dans une école spécialisée, estimant que cela pourrait constituer un environnement favorable pour se poser et mieux évaluer ses compétences. Cette dernière décision a été très dure à faire accepter par les parents, qui en comprenaient difficilement les raisons. Mais finalement son intégration s’est faite; l’adolescent s’est ouvert et s’est mis à communiquer en français. Ses lacunes scolaires restées majeures, il a ensuite bénéficié de deux ans de transition école-métier. En septembre dernier, je rencontre son père qui me dit qu’il est à la maison et n’a pas de projet pour la suite, alors qu’il est presque majeur. Je reprends contact avec mon réseau socio-thérapeutique: effectivement, il y a un «flou», comme souvent, autour de la majorité.
On réussit néanmoins à lui trouver un stage dans une institution protégée et il peut commencer une activité, sur le moyen terme, de production rémunérée, qui vient en complément de la rente AI qu’il va toucher en tant que majeur. Il est content et les parents soulagés… Pendant ce temps, les deux plus petits, âgés de 6 et 7 ans à leur arrivée, et le dernier-né sont parfaitement intégrés et suivent une scolarité normale.
Prendre en charge un·e adolescent·e en issu·e de la migration en tant que pédiatre nécessite bien sûr que l’on ne s’intéresse pas uniquement à sa santé psychosomatique (sans perdre de vue qu’il ou elle peut souffrir d’une maladie «oubliée» chez nous, comme la tuberculose), mais que l’on ait une vision plus globale, comme le décrit bien un article récent paru dans Paediatrica1>www.paediatrieschweiz.ch/fr/ladolescente-issue-de-la-migration-quels-outils-pour-les-pediatres/. Il est important de connaître le statut légal de l’adolescent·e: un·e jeune d’une famille déboutée de l’asile (et qui «attend son renvoi» sans qu’un projet puisse se construire) n’a pas les mêmes risques qu’un autre sans permis de séjour (plus préservé tant qu’il n’entre pas dans le monde professionnel) ou encore qu’un mineur non accompagné (qui souvent n’a que ses pairs comme référents). De bonnes compétences transculturelles sont essentielles et il est bien sûr primordial d’adopter une attitude non jugeante, sécurisante et de rappeler explicitement ce qu’est le secret médical afin d’établir un lien de confiance, dans la mesure où ces jeunes ont souvent subi des interrogatoires de police et peuvent être très méfiant·es, sans compter qu’il n’est pas toujours aisé de parler d’un vécu traumatisant, de peur de le réactiver.
Cela montre la nécessité d’une sensibilisation, d’une formation et de la constitution d’un réseau socioprofessionnel solide pour la prise en charge des adolescent·es issu·es de la migration, ce qui n’est peut-être pas encore assez enseigné dans le cursus en pédiatrie. Et pourtant, le ou la pédiatre a un rôle privilégié à jouer dans son rôle de conseil et d’accompagnement des enfants vers une maturité «en bonne santé».
Notes
* Pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.