Quelques mots, quelques lignes, et un·e condamné·e
Quelques lignes qui se perdent au fond d’une page, une étroite colonne qui grignote la marge. Un encart plus petit que la photo qui l’accompagne – des barreaux sagement alignés, lustrés pour l’occasion, tirés d’une banque d’images en libre accès. Quelques lignes, quelques courtes phrases qui prétendent dire tout en une poignée de mots jetés là. Des mots violents pour décrire la violence. Des mots abandonnés entre les serres de l’opinion publique qui, ouvrant grand son bec intransigeant, piaille à l’envi, déchiquette le paragraphe, dépèce les phrases, taillade les sens pour ne laisser derrière elle que les restes soudainement frelatés d’un incident sommairement relaté.
Quelques lignes, quelques mots, pas beaucoup, juste assez pour peser de tout leur poids sur le mauvais plateau de la balance, pour s’inscrire dans la mauvaise cellule du tableau, pour justifier l’infernale dichotomie et les fantasmes des un·es colmatant leurs failles par la chute des autres.
Parce qu’il le faut, on a choisi son camp, celui du lésé, de la victime. Le temps d’une lecture, l’individualisme cède sa place à une forme de solidarité nouvelle et sélective. On se sent blessé·es, offensé·es, et on s’offusque alors du laxisme d’une justice décadente, on exige une véritable peine, on affirme que l’on ne veut pas de ça chez nous. Alors, dans un même geste insensé, funeste communion, on saisit le glaive qu’une Iustitia trop indulgente n’avait pas brandi assez haut et on l’abat avec force et détermination. Et dans le fracas de la lame qui tranche, on n’entend ni les plaintes douloureuses des victimes, ni les souffrances à peine dissimulées des condamné·es au prénom d’emprunt.
Quelques lignes austères dans une langue complexe. Une affaire froidement numérotée, entre celle d’avant et celle d’après. Sur la page, d’autres numéros pour d’autres affaires qui servent d’exemples, qui justifient la décision. Et des articles de loi, eux aussi numérotés, longuement discutés jusqu’à ce qu’un seul survive à l’implacable argumentation, jusqu’à ce qu’un seul soit en mesure, par un étrange procédé nommé subsomption, de résumer toutes ces heures de débats, toutes ces pages d’expertises, toutes les circonstances qui entouraient l’acte punissable dont il fut question. Oubliant parfois les années de vies qui le précédèrent. Faisant fi de celles à venir.
Un article dans une loi, un article dans un journal. Quelques lignes de reproches. Des jugements. Une affaire comme tant d’autres, un simple fait divers. Et pourtant, les espaces clos, les grilles, les heures rallongées, les jours sans soleil et les pas résignés dans l’ombre des hauts murs. Les portes qui se ferment bruyamment. Et l’espoir, fine poussière, qui s’envole peu à peu et se glisse entre les barreaux pour sortir de l’enceinte sécurisée, s’accrochant à la pointe acérée d’un barbelé, avant de s’enfuir là-bas, au loin, où les trains passent dans un sens et puis dans l’autre. Si loin que d’ici, on ne les entend pas.