Pour un passeport plus accessible
Devenir suisse reste trop difficile, estime la gauche. Parti socialiste et Vert·es ont déposé plusieurs objets parlementaires visant à faciliter la naturalisation. Lancé en Suisse allemande par des représentant·es de la société civile, le manifeste «Quatre quart» demande pour sa part une promotion active de la naturalisation et un droit au passeport dès quatre ans de résidence. Alors que deux millions de personnes vivent en Suisse sans bénéficier de la nationalité (25%), les auteurs et autrices du manifeste dénoncent une «politique d’exclusion».
Le PS demande une procédure apolitique pour mettre fin aux inégalités de traitement et au risque d’arbitraire. «Aujourd’hui les communes jugent de ce qu’est une intégration réussie. En fonction des forces en présence, la vision est différente», relève la conseillère nationale Ada Marra. L’initiative parlementaire déposée par son collègue Cédric Wermuth demande que toute personne puisse demander à être naturalisée après avoir séjourné en Suisse un certain nombre d’années, sans nécessiter l’aval de la commune. Elle réclame que les procédures soient gérées uniquement par la Confédération, selon des critères minimaux. «L’objectif est d’éviter que chaque canton puisse mettre ses propres conditions», explique la conseillère nationale.
Droit du sol
Deuxième combat: le droit du sol. Toute personne née en Suisse devrait avoir le droit d’acquérir la nationalité, selon la motion déposée par Paul Rechsteiner (PS) au Conseil des Etats. Une proposition provocatrice, alors que la majorité parlementaire s’est jusqu’ici penchée en faveur de durcissements? «La provocation, c’est de traiter les gens comme s’ils allaient partir. La génération qui est née ici est intégrée de fait», répond Ada Marra. Pour l’obtention d’un passeport à croix blanche, la deuxième génération est freinée par de nombreux obstacles, comme un changement de lieu de résidence ou la dépendance des parents à l’aide sociale. Une seconde motion, déposée par la verte Lisa Mazzone, propose d’ailleurs d’étendre la naturalisation facilitée à la deuxième génération. Celle-ci fait état d’un taux de naturalisation en baisse depuis 2018.
Le Conseil fédéral n’en veut pas
Le Conseil fédéral s’oppose aux deux textes. Il fait valoir que la naturalisation de la deuxième génération est déjà facilitée par le fait que le temps passé en Suisse compte double entre l’âge de 8 et 18 ans. Et il tient à laisser les procédures entre les mains des cantons et des communes.
Réagissant à chaud, le conseiller national PLR Damien Cottier défend une procédure de naturalisation qui reste politique et laisse une marge de manœuvre aux cantons. Certains ont des processus plus administratifs, notamment en Suisse romande, d’autres prévoient une plus forte implication du législatif communal. Les critères minimaux de la Confédération et la jurisprudence du Tribunal fédéral servent selon lui de garde-fou à l’arbitraire. «La procédure est subtile. La commune est la mieux placée pour juger de l’intégration d’une personne. Il est légitime qu’il n’y ait pas d’automatisme», estime le conseiller national. Quant au droit du sol, il le juge contraire à l’esprit qui prévaut en Suisse.
Membre de la commission des institutions politiques, il admet des problèmes de mise en œuvre de la naturalisation facilitée pour la troisième génération (lire ci-dessous). «Dans les faits, elle se révèle parfois plus compliquée qu’une procédure ordinaire. Nous devons vérifier si nous ne sommes pas trop tatillons sur les document exigés».
Naturalisation facilitée : encore trop d’obstacles
Trois ans après sa mise en œuvre, la naturalisation facilitée pour les étrangers et étrangères de la troisième génération patine. Entre 2018 et 2020, près de 1850 personnes en ont bénéficié, sur une population concernée d’environ 25 000 personnes. «Nous considérons que c’est peu. Les premières années, il devrait y avoir un effet de rattrapage», relève Philippe Wanner, professeur en démographie, co-auteur d’une étude mandatée par la Commission fédérale des migrations, qui n’est pas encore publiée.
D’après les résultats recueillis, les administrations ne sont pas toujours prêtes à transmettre les informations aux jeunes concerné·es. Et surtout, les candidat·es à la naturalisation facilitée doivent fournir une preuve administrative du séjour de leurs grands-parents en Suisse. «Il n’y a pas toujours de trace active, surtout si la personne est décédée ou rentrée dans son pays d’origine», observe Philippe Wanner. En conséquence, des jeunes se retournent finalement vers la procédure ordinaire, plus accessible.
Les jeunes originaires de Turquie, du Kosovo, de Macédoine et de Serbie sont celles et ceux qui se sont le plus tournés vers la procédure facilitée. «La naturalisation a plus de valeur pour les personnes qui viennent d’un pays hors de l’Union européenne. Ces groupes sont également davantage stigmatisés dans le cadre de la procédure ordinaire», note Philippe Wanner. SDT