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Le journalisme dans le miroir de la violence

Si la violence armée recule globalement dans le monde à l’échelle de l’histoire, les formes de violence se diversifient et se «digitalisent» avec l’essor des réseaux sociaux. Les journalistes doivent redoubler de prudence et d’ingéniosité pour rendre compte de la violence sans l’attiser, selon Caroline Vuillemin, directrice générale de la Fondation Hirondelle.

La violence armée décline globalement sur le long terme, nous a appris il y a déjà dix ans le sociologue canadien Steven Pinker 1>Steven Pinker, The Better angels of our nature – Why violence has declined, Viking Books, 2011 – même si on en constate une légère recrudescence depuis le début des années 2010. Cependant la conflictualité fait partie des invariants au cœur de l’attention humaine, relève le sociologue Gérald Bronner dans un essai passionnant sur l’économie d’Internet et des réseaux sociaux2>Gérald Bronner, Apocalypse cognitive, PUF, 2021. Diffuser des contenus violents, ou qui attisent la violence, peut ainsi permettre de capter l’attention du public. Certains médias, et les réseaux sociaux, utilisent ce biais pour générer de l’audience, ou des «clics».

Or le rôle des journalistes, et des médias d’information, est aussi de traiter de la violence. Guerres, terrorisme, répression des minorités…: la violence change de forme ces dernières années. Dans tous les conflits, l’information est un enjeu majeur et les journalistes se retrouvent en première ligne, comme aujourd’hui en Afghanistan. Les groupes armés comme les gouvernements se saisissent désormais des réseaux sociaux, tant pour émettre leur propagande que pour encourager la publication d’informations fausses destinées à maintenir la population dans un climat d’incertitude et de peur. Les parties en conflit ont tendance à écarter, voire à viser les journalistes, notamment locaux, dont une soixantaine sont tués chaque année dans le cadre de leurs fonctions.

Par ailleurs, dans un monde qui sort tout juste d’un an et demi sous cloche, et dont les velléités libertaires sont plus fortes que jamais, certains droits perdent du terrain, dans une indifférence quasi généralisée. Ainsi, la liberté de la presse et le droit à l’information reculent, même dans certains pays développés, où la lutte affichée contre les fake news est parfois prétexte au vote de lois dont le contenu interroge l’indépendance éditoriale des médias.

Pour fournir une information de qualité, les journalistes doivent être libres de leurs mouvements et du choix de leurs sujets. Or, aujourd’hui, leur sécurité n’est pas toujours garantie. Ils et elles peuvent être victimes de violences physiques, sur le front, dans des pays en guerre, mais aussi ici en Europe, par exemple pendant la couverture de manifestations. Partout, ils et elles sont la cible de menaces, de pressions, d’intimidations, sur les réseaux sociaux comme en dehors.

Dans ce climat de violences multiformes, les médias doivent trouver des solutions pour retranscrire la violence sans en devenir la cible. Les techniques journalistiques et les mesures de prudence sont à réinventer, afin de réaliser des reportages équilibrés sur la violence sans contribuer à la propager. Il s’agit en particulier de faire entendre la voix des victimes, mais aussi la complexité de la violence dans ses causes profondes et dans sa durée. Voire à tenter de faire dialoguer des parties prenantes, dans un acte performatif où le journalisme traite autant de la violence qu’il contribue à la diminuer.

Créée suite au génocide rwandais, la Fondation Hirondelle a choisi de travailler à travers le journalisme et le soutien aux médias dans des pays fragilisés et meurtris par les conflits. Par une information fiable et de proximité, nous nous efforçons de faire reculer la peur, les rumeurs, et les réponses violentes aux crises. Il s’agit aussi de contribuer à (re)créer la possibilité du dialogue, un espace médiatique non violent, construit sur la base de faits et de réalités partagés.

La violence demeure hélas le quotidien de millions de nos auditeurs·trices aujourd’hui en RDC, au Sahel, en RCA, au Myanmar. La traiter est donc au cœur de notre travail. Cela exige rigueur et irréprochabilité à nos rédactions, mais aussi courage de la part de toutes et tous face aux risques. La qualité des informations produites, leur enracinement local et leur représentativité, accompagnés de formations sur le journalisme en zones de crise et en sécurité sont essentiels. De même que la transparence et le dialogue pour expliquer le travail des journalistes et le faire accepter par toutes les parties.

Le journalisme dans le miroir de la violence

Le journalisme dans le miroir de la violence 1

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La Fondation Hirondelle est une organisation suisse à but non lucratif qui fournit de l’information à des populations confrontées à des crises, pour leur permettre d’agir dans leur vie quotidienne et citoyenne. Basée à Lausanne, elle est active dans 8 pays sur 3 continents.

Opinions Agora Caroline Vuillemin

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