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Avoir les conditions cadre

Hélène Bourgeois réagit à un article qui traitait d’une formation fribourgeoise sur la performance environnementale destinée notamment aux architectes.
Transition énergétique

Quelle colère à la lecture de ces affirmations! La formation des architectes ne serait pas adaptée à la transition environnementale. Ceux-ci auraient besoin d’apprendre à construire en «ossature en bois» et à réaliser des «toitures végétalisées». La jeune architecte interviewée a besoin de l’académie pour comprendre l’effet de serre et construire des bâtiments «viables et sains»! Contrairement à ce que soutient cet article, la formation des architectes en Europe inclut la science des matériaux et toutes les techniques constructives. Cette formation technique généraliste permet d’être créatif avec toutes les matières présentes sur notre planète Terre. Concevoir un environnement vivable est la vocation même du métier d’architecte!

La formation d’architecte est humaniste et pluridisciplinaire, le savoir est utilisé avec créativité grâce à la démarche de design. Cette démarche consiste à développer à la fois un cahier des charges, et des solutions sous forme de dessin, sur la base de critères esthétiques, techniques et fonctionnels, et selon un processus itératif. Or le métier souffre d’être réduit à une dimension technique par le grand public, les médias et les commanditaires. La sélection d’entrée pour les écoles se base aussi sur des critères techniques, c’est pourquoi si peu de femmes s’engagent en Suisse. Cette vision techniciste est justement ce qui freine la transition environnementale! Isoler des bâtiments, installer des pompes à chaleur, construire des toitures végétalisées, etc., on sait faire! C’est déjà intégré dans les normes professionnelles. Les nouvelles générations d’architectes ont des idées plein la tête pour accompagner la transition environnementale. Cela grâce aux dernières recherches en sciences environnementales, du design, humaines et sociales, et de l’ingénierie. L’enjeu est d’avoir les conditions cadre pour mettre en œuvre les solutions. Pour cela, j’invite la société civile et les journalistes à débattre de certaines problématiques:

– Comment intégrer tous les acteurs concernés dans le processus de conception des projets? Doit-on instaurer un droit de regard aux utilisateurs sur les décisions du commanditaire durant ce processus? A savoir que l’architecte a une clause de confidentialité envers son client, le commanditaire, c’est-à-dire le financeur, et qu’il a pour rôle de défendre les intérêts de celui-ci.

– Pourquoi les concepteurs sont le plus souvent payés au pourcentage du coût total de la construction? C’est-à-dire que plus on construit, plus on gagne. En revanche certaines prestations essentielles au développement durable ne sont pas payées par les commanditaires, comme par exemple l’analyse des besoins et la définition d’un cahier des charges qualitatif (voir norme SIA 112/1:2017) ou bien le bilan d’énergie grise avec variantes de conception (voir ecobau.ch).

– Pourquoi pas intégrer la biodiversité aux projets de construction? On sait aujourd’hui faire un bilan de la biodiversité d’un site et concevoir des projets qui restaurent celle-ci.

– Peut-on considérer comme salubres les logements subissant un air pollué, un bruit excessif ou une chaleur intenable?

– Politique publique du logement, régulation de la spéculation foncière et immobilière, droit des locataires durant les rénovations, vie familiale en ville, incitations financières pour la réhabilitation plutôt que la construction, espaces adaptés aux aînés et aux handicaps, etc. La liste est longue!

Enfin, l’académie propose un stage d’un an payé 2000 francs par mois à des personnes déjà diplômées en architecture. La première volée est réservée aux femmes. Peut-on sérieusement proposer la sous-enchère salariale comme solution à la transition environnementale? La formation est-elle «réservée» aux femmes ou est-ce le seul public susceptible d’accepter un tel salaire? La discrimination à l’emploi des femmes est très forte dans le métier d’architecte, surtout en début de carrière. A l’ère post-MeToo, on ne peut se déclarer «progressiste» et faire une telle proposition…

Hélène Bourgeois est architecte spécialisée DD, Genève.

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