Chroniques

Bannir l’eau en bouteille

À votre santé!

L’eau est essentielle à la vie. Et en ce sens doit être considérée comme un bien public accessible à toutes et tous. On sait trop bien comme l’eau non contrôlée peut être source d’infections et rend malade, surtout des enfants, plus ailleurs qu’ici.

Cela fait des années que la question de l’eau en bouteille fait débat. Alors qu’acheter de l’eau était exotique dans les années 1970, le marché de l’eau en bouteille a explosé depuis vingt ans partout dans le monde, mais aussi chez nous. Et les polémiques autour des taux de certains pesticides ou micropolluants dans les eaux du robinet ne sont pas là pour freiner la tendance.

Rappelez-vous que, déjà en 2003, le «Prix des transports absurdes» décerné par l’Initiative des Alpes avait été attribué à l’entreprise Nestlé Waters Suisse parce que cette multinationale générait chaque année 12 000 trajets en camion inutiles à travers les Alpes du seul fait de ses importations en Suisse d’eau minérale française ou italienne. Sans parler de la polémique révélée plus récemment dans les Vosges, où Nestlé pompe abondamment l’eau de Vittel – en toute légalité! –, malgré un déficit inquiétant de la nappe phréatique. A tel point que la commune va devoir importer de l’eau des villages voisins.

Dans le monde, un million de bouteilles en plastique sont achetées chaque minute et à peine la moitié de celles-ci sont recyclées. C’est une aberration. D’abord au niveau du coût de consommation: un litre d’eau en bouteille vaut environ 70 centimes contre 0,08 centimes au robinet. Ensuite parce que – a contrario d’un discours marketing intense – il n’y a aucune raison dans notre pays, où les eaux sont contrôlées très régulièrement, de penser que l’eau en bouteille est «meilleure pour la santé», y compris pour la préparation des biberons des nourrissons. Les eaux en bouteille sont potables, mais non stériles; si elles stagnent dans les rayons des points de vente, elles peuvent atteindre des teneurs en micro-organismes potentiellement pathogènes, sans compter leur contamination par des particules en plastique, nettement plus élevée que l’eau du robinet, comme le révélait une étude de 2018.

Les auteurs d’une étude récente1> «Health and environmental impacts of drinking water choices in Barcelona, Spain: A modelling study», 2021 Jul 5, https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.148884 et très fouillée, réalisée à Barcelone, ont analysé le type de consommation d’eau des habitant·es en fonction de la source d’eau du robinet, puis ont établi des projections d’une consommation à 100% d’eau du robinet et à 100% d’eau en bouteille. Ils ont tenu compte du coût et du risque du traitement des eaux de distribution publique (en particulier la teneur en THM, substances chimiques qui se forment lorsque le chlore utilisé pour désinfecter l’eau réagit avec les matières organiques naturelles et peuvent être associées à des cancers de la vessie). Mais aussi, bien sûr, du coût global de l’eau en bouteille, où la fabrication de la bouteille et le transport jouent un rôle prépondérant. Le constat est sans appel: si toute la population de la métropole catalane buvait de l’eau en bouteille, cela entraînerait un coût d’extraction des ressources 3500 fois plus élevé que si elle consommait de l’eau du robinet. De même, l’impact sur les écosystèmes serait 1400 fois supérieur.

A l’heure où les expert·es du GIEC nous rappellent à hauts cris que l’urgence climatique est réelle, qu’il faut agir rapidement et énergiquement, renoncer autant que possible aux produits issus d’énergies non renouvelables et consommer localement, se passer d’eau en bouteille pourrait être une mesure bénéfique pour la population du point de vue sanitaire, économique et écologique. Il faut néanmoins faire face à deux écueils: il y a beaucoup d’argent à gagner en vendant de l’eau en bouteille et en privatisant la consommation d’eau – surtout si elle devient rare, comme c’est déjà le cas dans de nombreuses parties du monde.

Il est aussi important de donner aux pouvoirs publics la mission et les moyens pour distribuer l’eau la plus saine possible à l’ensemble de la population. On a raté, en Suisse, une opportunité le 13 juin 2021 en refusant l’initiative populaire «Pour une eau potable propre et une alimentation saine». Mais l’obligation des communes d’être très vigilantes avec l’eau qu’elles distribuent aux foyers demeure. Et une des solidarités les plus précieuses avec les pays émergents est de les aider à développer des systèmes de distribution d’eau potable efficaces, plutôt que créer des points de ventes d’eau en bouteille, quand ce n’est pas de boissons gazeuses!

En Suisse, franchement, qui peut contester que l’on pourrait se passer d’eau en bouteille, alors que l’on en consomme bon an, mal an encore environ 125 litres par personne et par année?

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* Pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.

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lundi 8 janvier 2018

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