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La possibilité du secours

Directeur général de Médecins sans frontières Suisse, Stephen Cornish évoque les espoirs, suscités puis déçus, liés à la résolution 2286 sur la protection de la mission médicale.
Humanitaire

En tant qu’organisation non gouvernementale, nous considérons à Médecins sans frontières que nous ne sommes pas toujours les mieux placés pour commenter les coulisses des conflits. Cependant, notre présence au cœur des hostilités pour venir en aide aux plus vulnérables fait de nous des témoins privilégiés des conséquences médicales des conflits et des préjudices subis par les populations, au-delà des bilans officiels et des éventuels jeux de communication orchestrés par les parties belligérantes.

A ce titre, le mois de mai a marqué l’anniversaire de la résolution 2286 des Nations unies de 2016. Unanimement approuvée à la suite d’un ensemble d’attaques perpétrées contre des structures de soins, elle engage les Etats à protéger les systèmes de santé en cas de conflit armé. Mais, depuis cinq ans, aucun changement n’a été constaté. La résolution n’a rien résolu: des structures de santé au Yémen déjà exsangues et régulièrement bombardées, des ambulances de la place Tahrir en Irak criblées de balles, ou encore des humanitaires kidnappés et assassinés au Niger.

En plus du manque de protection de ces lieux de soins que nous dénonçons depuis des années, les répercussions des attaques sont inestimables sur le plan social, car elles brisent les fondations des ultimes refuges d’humanité en temps de conflit. L’absence d’accès aux soins et à l’aide humanitaire d’urgence est également de nature à cristalliser les haines et les hostilités lorsqu’elle s’ajoute aux violences délibérées ou qu’elle se situe au cœur d’une stratégie d’épuisement.

Malheureusement, les belligérants restent souvent sourds aux sirènes des ONG relatives au respect des normes internationales qui régissent la protection des personnels et des structures de santé. Les négociations engagées localement dans le but de préserver un espace sécurisé s’avèrent ainsi déterminantes pour des organisations comme la nôtre. S’y joue essentiellement, si ce n’est la question de l’intérêt mutuel bien compris, tout au moins l’entente autour de l’existence d’un lieu de soins de nature à servir tout un chacun: l’hôpital. Un endroit où l’on tente de réparer des vies.

La clause Martens de 1899, liée au droit de la guerre, se réfère aux exigences de la «conscience publique», au «droit des gens» et aux «usages établis entre nations civilisées» pour maintenir au cœur de la crise des principes d’humanité, consacrés par ailleurs dans de nombreuses lois coutumières antérieures. Il en ressort qu’il est de la responsabilité des Etats comme des populations de préserver ces notions traditionnelles fondamentales afin de pouvoir protéger le lien social au-delà du conflit et espérer une possible reconstruction.

Car si l’hôpital n’a jamais – hier comme aujourd’hui – été un sanctuaire, l’espace du secours doit pourtant être maintenu pour que subsistent les principes d’humanité dans le chaos et la possibilité du secours au-delà des appartenances politiques ou militaires. Enfin, le geste médical doit s’établir sur la seule base de la criticité de l’état du patient, et ce même si ce dernier se serait rendu coupable d’actes hostiles envers la société. Aucun amalgame ne saurait en effet être toléré entre la lutte légitime des Etats à protéger leurs territoires et l’exercice médical, qui doit rester à la marge de certaines contingences politiques pour ne viser que l’intérêt de la personne souffrante. Ce dernier principe est l’un des socles de l’éthique des professionnel·les de la santé et demeure le gage de soins équitables et de qualité pour toutes et tous.

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