Des aliments plus chers?
La population votera le 13 juin sur deux initiatives qui influenceront la production agricole suisse et directement le contenu de nos paniers. L’initiative pour une eau potable propre souhaite conditionner le versement des paiements directs seulement aux paysan·nes qui n’utilisent pas d’antibiotiques à titre prophylactique, de pesticides ni de fourrage externe pour nourrir leur bétail. L’initiative pour une Suisse libre de pesticides de synthèse veut interdire l’utilisation de pesticides de synthèse dans la production alimentaire, l’entretien des espaces publics et des jardins. Les mêmes critères seront imposés aux denrées importées, mais le recours aux engrais resterait autorisé. Plusieurs craintes sont érigées autour de ces initiatives. Tour d’horizon.
Moins d’énergie et de gaz à effet de serre
Si, à court terme, l’interdiction des pesticides impliquerait forcément une chute de la production et une réorientation des choix de cultures, à long terme, les sols pourraient être revitalisés et devenir plus fertiles.
Selon un essai comparatif mené depuis 1978 par l’Agroscope et l’Institut de recherche de l’agriculture biologique FiBL (dit essai DOC) sur trente-cinq ans, si les rendements de l’agriculture biologique sont inférieurs, le recours aux éléments nutritifs, tels que l’azote, le phosphore ou le potassium est bien plus efficient.
En calculant l’énergie nécessaire à la fabrication d’engrais et de pesticides, les cultures biologiques ont besoin en moyenne de 19% d’énergie en moins par unité de rendement. Toujours selon la même étude, les surfaces cultivées en bio émettent 40% de gaz à effet de serre de moins par hectare que les sols travaillés de manière conventionnelle. JJT
Le spectre d’une chute de la production
La première interrogation concerne le prix des aliments. Les opposant·es craignent que ces initiatives ne viennent affaiblir le rendement de la production agricole. Ils brandissent une baisse des volumes allant jusqu’à 30%. La réalité semble plus nuancée. L’agriculture biologique atteint en moyenne générale un rendement inférieur de 20%, selon un essai comparatif mené depuis 1978 par l’Agroscope et l’Institut de recherche de l’agriculture biologique FiBL (dit essai DOC) sur trente-cinq ans. Si seule l’initiative pour une Suisse libre de pesticides était acceptée, la baisse sera certainement inférieure à ces 20%. «L’initiative concerne uniquement les pesticides de synthèse et n’impose pas un cahier des charges aussi strict que le bio, la baisse ne peut être que modérée», avance Laurianne Altweg, responsable environnement, agriculture et énergie pour la Fédération romande des consommateurs (FRC) qui soutient l’initiative. Elle pourrait être supérieure si la première initiative interdisant les engrais et le fourrage externe était plébiscitée.
En revanche, plusieurs cultures pourraient enregistrer des pertes bien plus importantes. Le camp du «non» s’inquiète notamment pour la pomme de terre, le colza et la betterave sucrière, particulièrement vulnérables aux ravageurs. «Certaines cultures importantes pour notre économie pourraient tout simplement disparaître», avertit Anne Challandes, présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF). En effet, selon les chiffres 2017 de l’OFS, seules 7% des patates produites en Suisse, 1,5% du colza et moins d’un pour cent des betteraves sucrières sont biologiques. Au total, 14% de la surface agricole suisse était exploitée en suivant le cahier des charges du label bourgeon bio.
Adapter notre paysage et notre assiette
Autre inquiétude: l’approvisionnement du pays. La pandémie a réveillé une peur de disette et les opposant·es craignent pour la sécurité alimentaire. En cas d’acceptation, le taux d’auto-approvisionnement alimentaire qui avoisine aujourd’hui les 60%, chuterait lui aussi de 20% selon le site non-initiatives-phyto-extrêmes.ch. Ce calcul est assez grossier car la proportion de produits indigènes varie en fonction des denrées. La production de produits laitiers est plus importante que la consommation, celle de viande se monte à 86%, alors que notre pays ne couvre que la moitié de ses demandes en œufs et en légumes et ne répond pas à plus d’un quart de sa demande en fruits.
Les sympathisant·es des deux initiatives avancent qu’en repensant notre système alimentaire, il serait possible de garder un bon taux d’auto-approvisionnement. Pour atteindre cet objectif, la population devrait cependant drastiquement changer ses habitudes alimentaires. Chaque personne ne devrait consommer que 2340 kilocalories par jour contre 3015, en moyenne actuellement. Un chiffre supérieur aux valeurs recommandées par la Société suisse de nutrition. Le porc, la volaille et les œufs ne compteraient plus que pour une faible part de la consommation. En revanche, celle de féculents ou de lait augmenterait.
Le prix des aliments n’augmentera pas forcément
Enfin: produire sans pesticides fera-t-il nécessairement augmenter la facture des consommatrices et des consommateurs? «Les coûts des matières premières et des denrées agricoles renchériraient de 20% à 50% impliquant un surcoût mensuel de 170 à 420 francs par mois pour un ménage de quatre personnes», avance Anne Challandes, présidente de l’USPF. «En production bio, les semences et les intrants naturels coûtent plus chers et davantage de main-d’œuvre est nécessaire. Pour une surface identique, plus de frais et moins de rendement.»
Pourtant, si les produits bio coûtent en moyenne 50% plus chers que les conventionnels, cela est dû à une marge très importante appliquée par les transformateurs et les distributeurs. Selon une étude de la FRC de 2019, la marge supplémentaire irait de 50% à 95% selon les produits par rapport aux mêmes denrées conventionnelles. «Une légère augmentation des coûts de production est inévitable, mais cela ne va pas forcément se répercuter sur le prix du panier alimentaire», répond Laurianne Altweg de la FRC.
Une étude macroéconomique publiée par l’université de Saint-Gall sur les effets de l’acceptation de l’initiative pour une Suisse libre de pesticides de synthèse arrive à une conclusion similaire. L’analyse des données de 26 entreprises du secteur agroalimentaire conclut que l’augmentation des prix à la production n’a que peu d’effet sur les prix à la consommation car 75% de la valeur ajoutée sur la production alimentaire provient du secteur agroalimentaire.
Si le prix des aliments pourrait légèrement augmenter, cette hausse ne devrait donc pas atteindre ceux des produits bio. Laurianne Altweg estime que l’initiative pour une Suisse libre de pesticides de synthèse permettrait à la population d’accéder à une meilleure qualité d’alimentation à un prix meilleur marché que celui du bio.
Néonicotinoïdes, une menace pour les enfants ?
Les pesticides se cachent partout, même dans le liquide qui entoure le cerveau et la moelle épinière d’enfants vivants sur le Plateau suisse. C’est ce que révèle une étude menée par le chef du service de pédiatrie du Réseau hospitalier neuchâtelois, Bernard Laubscher. La totalité des échantillons de liquide céphalorachidien prélevés sur 14 enfants en traitement pour des leucémies et des lymphomes contenaient des traces de néonicotinoïdes, une catégorie d’insecticides neurotoxiques très répandue agissant sur le système nerveux des insectes. Cette découverte de portée mondiale donne des indications sur l’ampleur de la contamination de la population par ces molécules.
En effet, jusqu’ici, six études pédiatriques (cinq en Asie et une aux USA) avaient analysé et décelé des traces de ces insecticides – parmi les plus utilisés – dans l’urine d’enfants. Aucune ne les avait recherchés chez des enfants européens, ni n’avait étudié la présence de liquide céphalorachidien dans leur corps. L’article corédigé par des chercheurs des universités de Neuchâtel et de Lausanne, réalisé sur des enfants soignés au CHUV, est encore en relecture en vue d’une publication dans une revue environnementale, mais les résultats sont disponibles sur le site de prépublication du journal médical The Lancet.
Nous pensions retrouver ces molécules chez deux ou trois enfants sur 14 mais pas chez 100% d’entre eux. C’est inquiétant, car cela signifie qu’il y a probablement une contamination chronique de toute la population, et ceci même en Suisse où l’agriculture et les autorités sont assez prudentes dans leurs recours aux pesticides», indique Bernard Laubscher, auteur principal de l’étude.
Si les effets de ces substances ne sont que très mal connus chez les enfants, les chercheurs appellent à la prudence. «Ces molécules se trouvent dans le liquide directement en contact avec le cerveau. Elles ont été associées dans une étude à des troubles du spectre autistique. Ce lien est cependant difficile à mettre évidence. Il faudrait davantage de recherche», poursuit l’expert en pédiatrie. Parmi différentes hypothèses inquiétantes, ces substances pourraient agir chez le fœtus et le petit enfant et participer à des problèmes d’apprentissage, de concentration et de mémoire, mentionne l’article.
La conseillère aux Etats verte neuchâteloise Céline Vara a interpellé le Conseil fédéral à ce sujet lundi. Elle demande si des recherches épidémiologiques sur la santé humaine, plus spécifiquement des enfants, sont prévues et quelles mesures il entend prendre pour stopper la contamination de la population aux pesticides. JJT