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«Il faut arrêter le chantier du centre de renvoi du Grand-Saconnex»

Des personnalités genevoises issues des milieux politique, académique et d’aide aux réfugié•es ont formé une coalition qui demande l’arrêt immédiat de la construction du Centre fédéral d’asile et de renvoi au Grand-Saconnex au moyen d’une pétition.
Genève

La construction du centre fédéral d’asile et de renvoi du Grand-Saconnex-Genève jouxtant la piste de l’aéroport a débuté, mais il n’est jamais trop tard pour renoncer à un projet inutile, inhumain, xénophobe et raciste.

Les médias ont récemment révélé les graves violations des droits humains qui ont lieu dans les centres fédéraux d’asile: sanctions arbitraires, obstacles injustifiables à l’accès aux soins médicaux, violences, insultes et comportements racistes de la part des agents de sécurité. Amnesty International évoque, dans son rapport de mai 2021, des actes assimilables à de la torture. Même le Secrétariat d’Etat aux migrations l’admet: il y a un problème dans la gestion des centres fédéraux d’asile. Des démarches juridiques sont en cours et la Confédération a mis sur pied une commission d’enquête.

Mais le problème n’est pas seulement dans la gestion des centres fédéraux, ce sont les centres fédéraux eux-mêmes. Tant que l’on reçoit les personnes venues trouver refuge en Suisse comme des criminelles, tant qu’on les enferme dans ces centres carcéraux avec un encadrement sécuritaire, il y aura de la violence. Ce ne sont pas quelques heures de cours supplémentaires sur la médiation non violente offertes à des agent•es de sécurité qui changeront l’affaire.

Il n’est pas étonnant que près de la moitié des requérant•es que l’on fait vivre dans ces conditions de maltraitance et de semi-détention finissent par sortir du système. Des familles entières sont ainsi poussées dans la clandestinité et rendues plus vulnérables encore. Introduire de telles pratiques à Genève reviendrait à se mettre en totale contradiction avec la tradition humanitaire du canton.

Le centre fédéral du Grand-Saconnex, prévu par la Confédération avec l’aval du Conseil d’Etat genevois, serait supposé abriter pour des séjours d’une durée légale maximale de 140 jours, jusqu’à 250 requérant•es d’asile coincé•es en périphérie de Genève, entre une bretelle d’autoroute et le tarmac de l’aéroport, loin des habitations. En plus de l’exclusion géographique, vivre des mois à quelques mètres de la piste de l’aéroport équivaut à subir des conditions de vie insalubres, tant à cause des nuisances sonores dépassant de loin les valeurs limites que de la pollution de l’air (oxydes d’azote). Assimiler le centre fédéral ainsi prévu à un hôtel, ce qui permet un dépassement des valeurs antibruit, et non à un immeuble d’habitation serait contestable légalement. De plus, il est à noter que pour justifier le caractère hôtelier du centre, on explique que la durée moyenne de séjour y serait de 51 jours, alors que la durée maximale autorisée par la loi est bel et bien de 140 jours et que, dans les faits, ce délai pourrait certainement être dépassé, comme c’est déjà le cas dans d’autres centres fédéraux.

Le bureau d’architecture retenu a eu le culot d’appeler son projet «Philémon et Baucis», un couple généreux qui symbolise l’hospitalité dans la mythologie grecque! Or, tout a été prévu pour que les requérant•es d’asile ne se mêlent pas au reste de la population: nécessité de demander une autorisation pour chaque sortie du centre, horaires restrictifs (9 h – 17 h en semaine) rendant impossible une vie sociale à l’extérieur, interdiction de recevoir des visites de ses proches, scolarisation des enfants à l’intérieur même du centre, sanctions à la moindre infraction au règlement, etc. C’est dans ces conditions que l’on prévoit d’«accueillir» celles et ceux dont le seul crime est d’avoir fui les guerres ou la pauvreté.

On nous fait croire que tout ceci n’est pas si grave, parce que les requérant•es qui seront assigné•es à ce centre-là sont ceux et celles qui auront reçu une décision d’asile négative et devront quitter la Suisse dans les plus brefs délais. Ce que l’on sait d’autres centres fédéraux similaires en Suisse nous indique clairement le contraire. La procédure d’asile expéditive passe à côté de nombreux éléments et conduit à renvoyer des personnes qui ne devraient pas l’être. Des recours juridiques, qui aboutissent parfois à l’obtention d’un permis de séjour, sont déposés depuis ces centres de renvoi, où il n’y a soi-disant plus rien à espérer.

Voici des années que des associations, des partis politiques, des habitant•es du Grand-Saconnex et même le Grand Conseil genevois s’opposent fermement à la construction d’un nouveau centre fédéral d’asile et de renvoi. Le parle-ment genevois a voté en mars 2019 une motion demandant au Conseil d’Etat d’y renoncer (M2489). Soutenues par une quarantaine d’associations, 1500 personnes ont manifesté dans la rue leur opposition à ce centre en octobre 2020.

Dans ces conditions, étant entendu que le canton a bien évidemment une marge de manœuvre, il nous parait légitime et urgent qu’il l’utilise, car l’opposition à la construction d’un nouveau centre fédéral au Grand-Saconnex a été clairement énoncée. Nous demandons d’appliquer la loi sur l’asile de manière conforme aux libertés humaines les plus élémentaires. Il faut arrêter le chantier du Grand-Saconnex et donner à la Confédération le temps de réfléchir, avant de continuer la construction d’un bâtiment aussi absurde que vraisemblablement inutilisable.

Parce que le système des centres fédéraux génère inévitablement des violences contre les requérant•es d’asile, traite les personnes venues trouver refuge en Suisse comme des criminelles, pousse les requérant•es d’asile dans la clandestinité; parce que le projet de centre d’asile et de renvoi du Grand-Saconnex est particulièrement inhumain, nous, soussigné•es, demandons au Grand Conseil et au Conseil d’Etat genevois d’interrompre immédiatement la construction du centre fédéral d’asile et de renvoi du Grand-Saconnex.

Premiers·ères signataires

Aldo Brina, Chargé d’information sur l’asile au Centre Social Protestant
Bertrand Buchs, Député PDC, Le Centre
Marion Chipeaux, Chercheuse universitaire
Christian Dandrès, Conseiller national socialiste
Pierre Eckert, Député et chef de groupe des Vert-e-s genevoi-se-s
Julie Franck, Maître d’enseignement et de recherche à l’Université
Jocelyne Haller, Députée et membre du Grand Conseil, Ensemble à Gau-che
Samia Hurst, Médecin et éthicienne, Genève
Delphine Klopfenstein Broggini, Conseillère nationale, Présidente des Vert-e-s genevoi-se-s
Caroline Marti, Députée et Cheffe de groupe des socialistes genevoi-se-s
Michel Matter, Conseiller national, Vert Libéral
Lisa Mazzone, Conseillère aux Etats, Les Vert-e-s
Gabriel de Montmollin, Directeur du Musée de la Réformation
Isabelle Pasquier Eichenbecher, Conseillère nationale, Les Vert-e-s
Anne-Madeleine Reinmann, Diacre à Agora
Romain de Sainte Marie, Coprésident Socialistes genevoi-se-s
Ur Shlonsky, Prof. Université
Lydia Schneider Hauser, Coprésident Socialistes genevois-e-s
Carlo Sommaruga, Conseiller aux Etats Socialiste
Fréderic Tinguely, Prof. Université
Boris Wastiau, Genève

 

La pétition «Stop immédiat au centre de renvoi» à signer en ligne sera accessible ces prochains jours ici

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