Chroniques

La politique culturelle, à G’nêêve, c’est qui qui la mène?

L'Impoligraphe

Dans un mois, on votera en Ville de Genève sur un préavis municipal positif au plan localisé de quartier permettant l’édification d’une Cité de la musique dans le quartier des Nations. Ce préavis donné par le Conseil municipal combattu par un référendum – d’où l’appel au vote populaire – est soutenu par la majorité du Conseil administratif (les deux Verts s’y opposant), par le Conseil d’Etat et par toute la droite sauf l’UDC (qui le combat), mais combattu par toute la gauche sauf le PS (qui le soutient). Et comme on parle d’une Cité de la musique, on fait dans la polyphonie: à droite, notamment au PDC, des doutes s’expriment, mezzo voce, sur le projet; au PS des voix (dont la nôtre, ici) appellent à ne pas le soutenir, ne serait-ce que pour donner la possibilité d’ouvrir la Cité de la musique à d’autres formes et pratiques musicales que celles, patrimoniales, auxquelles elle est essentiellement vouée; et chez les Verts, des voix appellent à le soutenir, parce qu’il met à disposition de la population un parc public actuellement privatif, que si des arbres devaient être abattus pour édifier la Cité de la musique, deux fois plus seraient replantés – l’allée de chênes centenaires étant en grande partie préservée – et qu’on ne peut par principe refuser un projet culturel d’envergure. Même sans en examiner le contenu? Parce que d’un projet culturel, c’est bien le contenu culturel qui devrait nous importer, non?

La Fondation pour la Cité de la musique place sa campagne sous le slogan – sympathique – «Je donne ma voix pour la musique». Mais pour quelle musique? Dans la recherche de la «renommée de Genève» (laquelle Genève est déjà, Cité de la musique ou pas, la ville suisse la plus renommée), posée comme un objectif dans les statuts de la Fondation pour la Cité de la musique, les musiques pauvres pèsent évidemment moins que les patrimoniales, le projet manifestant de manière très claire le déséquilibre du soutien public aux unes et aux autres: il a pour vocation première d’héberger l’Orchestre de la Suisse romande et la Haute Ecole de musique.

On balaiera d’un revers de main l’affirmation qu’on ne peut être partisan d’une Cité de la musique sans devoir, forcément, l’être de celle qu’on nous propose aujourd’hui: le refrain «il n’y a pas d’alternative», «pas de plan B», entonné par la Fondation pour la Cité de la musique, est trop lancinant, quel que soit le projet que l’on chante, pour être autre chose qu’une antienne, déjà entendue lorsqu’il s’agissait de voter sur le «projet Nouvel» de rénovation du Musée d’art et d’histoire, avant le refus de ce projet… et la mise en étude d’un nouveau projet – autrement dit, d’une alternative… ou, comme pour la Maison de la danse, de «plan B»…

L’enjeu du projet de Cité de la musique n’est ni financier (la Ville a posé comme condition à son soutien de n’avoir pas à participer financièrement au fonctionnement de la nouvelle institution), ni patrimonial, ni climatique mais politique et culturel. Et il est crûment posé: c’est celui de la répartition fort inégale des soutiens financiers municipaux (et on ne parle pas des cantonaux…) aux différentes formes musicales et des réponses données par les collectivités publiques à leurs besoins. Certes, la Cité de la musique n’enlèvera rien aux soutiens matériels accordés par la Ville aux autres musiques que celles qu’elle privilégie. Mais, par son ampleur, ce projet va prendre une place considérable dans la politique culturelle genevoise – d’autant que son financement principal (et même le financement total de son édification) est privé, que le rapport des engagements publics, nécessaires, et des engagements privés, qui devraient rester complémentaires, va s’en trouver profondément modifié, et que c’est là une nouvelle «répartition des tâches culturelles» qu’il ne nous souvient pas qu’un parlement, municipal ou cantonal, ni le peuple, ait jamais approuvé…

D’où, cette question bête, innocente et conclusive à nos deux magistrats préférés: dites, Thierry et Sami, à qui, à quoi cela peut bien servir d’avoir deux ministres de la Culture si la politique culturelle doit être déterminée par une fondation dont il ne faut pas donner le nom, lors même que tout le monde culturel (le petit, le grand et le demi) le connaît?

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg L'Impoligraphe

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