Un leitmotiv usé jusqu’à la corde
L’expression «sécurité alimentaire» se réfère au pourcentage de nourriture produit et consommé dans un pays. D’après l’Union suisse des paysans (USP), le chiffre actuel suisse serait d’environ 50%. Durant la deuxième guerre mondiale, le Plan Wahlen augmenta l’autonomie alimentaire de 52% en 1940 à environ 75% en 1945. Grâce à quoi (et en l’absence d’hostilités!) les Suisses n’eurent pas faim. Les paysans en sont fiers – c’est légitime! L’USP va plus loin. Elle décrète la sécurité alimentaire priorité nationale. Et elle argue que seule une agriculture intensive serait en mesure de l’assurer. Elle tente ainsi de légitimer l’utilisation massive de pesticides et reprend cette argumentation chaque fois qu’une initiative politique propose de dépolluer. Mais l’agriculture intensive détériore les ressources. Elle menace la santé humaine. Elle est une des principales responsables du réchauffement climatique. Une sécurité sans durabilité est illusoire. Relier sécurité alimentaire avec agriculture à pesticides est une manipulation.
La production non durable n’est pas la seule incohérence dans l’injonction de l’USP à la sécurité alimentaire. Les importations pour nourrir le bétail en sont une autre. Nous importons davantage de céréales fourragères que nos paysans en produisent. Pour les légumineuses, l’écart entre la production nationale et les importations est très important. Si, en 2012, les importations de protéines nécessaires pour produire le lait et la viande bovine ne représentaient «que» 9%, les importations pour produire œufs et poulets étaient de 64%, pour atteindre 73% pour la production de viande de porc. Ces chiffres n’ont guère évolué depuis.
La sécurité alimentaire évoquée par l’USP est un leurre. Notre production de protéines animales est basée sur l’importation de fourrages. L’USP essaie de nous convaincre qu’il suffirait de manger local pour faire quelque chose de «bon» pour notre planète – un mensonge insufflé sans vergogne! Seuls comptent la qualité et l’impact socio-environnemental de la production. Un bon produit importé est préférable à un «produit local» dont les procédés de production et la composition sont douteux et dont la quantité d’énergie grise est indéterminée. Les importations qui permettent la production de «protéines animales suisses» posent problème: en Suisse, la surproduction de fumier et de purin qui polluent les nappes et, dans le tiers monde, la déforestation, l’extinction des peuples indigènes, la destruction des ressources, l’exploitation des ruraux, l’utilisation de pesticides interdits en Europe (et qui nous reviennent) sans compter l’énergie pour transporter les matières premières.
Le degré de sécurité alimentaire dans un monde interdépendant est d’une importance toute relative. Nos entreprises ont recruté des millions de travailleurs hors Suisse. Elles ont ainsi créé les bases économiques qui permettent de compléter les revenus paysans par des paiements directs. Ces subsides rendent possible la survie de l’agriculture suisse dans un contexte de surproduction internationale. Seuls nos 15% d’agriculteurs bio répondent aux exigences de qualité et de durabilité. Une grande partie du reste de notre production agricole ne se distingue guère de la «malbouffe» produite ailleurs. Il vaudrait mieux que les paysans s’orientent d’après de véritables critères de qualité et de protection de l’environnement que d’évoquer le mythe d’une «sécurité alimentaire» fictive.
Dans un contexte européen qui peine à surmonter son passé de compétitivité nationaliste et de guerres, le concept d’une Suisse neutre, souveraine et indépendante de ses voisins mérite quelques réflexions – et quelques mises à jour! Mais oublions cette sécurité alimentaire trompeuse et tournons-nous vers les véritables produits de qualité et de proximité. Il faut les promouvoir et les partager! Ils représentent le futur de l’agriculture, soit-elle nationale, européenne ou mondiale.
Markus Lüthi est un pionnier de l’agriculture bio en Suisse.