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L’agriculture toujours en question

Paul Sautebin évoque les enjeux de l’agriculture suisse et s’exprime sur les deux initiatives «anti-pesticides» soumises aux urnes le 13 juin prochain.
Votations fédérales

Du fait de la mondialisation, l’agriculture suisse se trouve mêlée aux grands défis de notre époque: questions climatiques, environnementales, migratoires, sociales, sanitaires et militaires. Ces défis viennent fonder les préoccupations majeures présentes et à venir auxquelles l’agriculture ne peut se soustraire. Sujet des prochaines votations fédérales, l’agriculture du pays ne repose pas simplement sur une branche qui serait menacée d’être sciée par deux initiatives populaires. En réalité, c’est bien le corps de l’arbre dans son ensemble qui est malade de l’agro-industrialisation financiarisée et mondialisée.

La logique agricole actuelle est de tous les paradoxes: en quête perpétuelle d’une rationalité motivée par la compétitivité, elle a fait baisser les prix et, par là, la part de l’alimentation dans le coût de la vie. Elle consomme 10 calories pour en produire une. Elle absorbe une masse d’énergie fossile alors que se produit dans les champs la photosynthèse, source de toute énergie. Elle méprise et chasse du terrain les femmes et les hommes munis d’un savoir ancestral pour les remplacer par une technobureaucratie parasitaire hors-sol. Elle affaiblit l’immunité, la fertilité et la résistance des sols, qu’elle croit compenser par des artifices chimiques et mécaniques.

Les coûts collatéraux deviennent exorbitants en termes de pollution, de santé publique, de perte de la biodiversité, de transport, de réchauffement climatique, de chômage, de bio-invasion, d’exode rural global et local. Encastrée dans l’import-export, la Suisse doit couvrir 50% de ses besoins alimentaires par les importations et elle exporte l’équivalent de 20% de sa surface agricole en produits laitiers. Elle importe plus de 100’000 tonnes de pâtons et viennoiseries précuites par année et déclasse presque autant de céréales panifiables en fourrage. Nous importons près d’un million de tonnes de fourrage alors que globalement nos surfaces agricoles sont saturées de fumure.

Effectivement notre agriculture change! Mais en quoi? Pour le bien de qui et de quoi? L’indicateur le plus révélateur de ce changement est donné par le corps du métier lui-même: en Suisse, 1000 fermes disparaissent chaque année. Le travail est payé au prix du marché local et mondialisé. Les charges de travail et administratives ne cessent d’augmenter. Une vague de dépression embrume les campagnes et la relève professionnelle est difficile à assurer. Les politiques agricoles d’étranglement provoquent amertume et ressentiment. Le syndicalisme paysan a été cassé par le néolibéralisme du chacun contre tous les autres.

La crise dans laquelle s’insère l’agro-alimentaire rend tous les jours un peu plus caduques la paix, la justice sociale, la santé publique, la liberté et la démocratie. «Du chaos naît la créativité» dit le dicton, celle de prendre soin de nous, de la planète, des femmes et des hommes, de la biodiversité, de la fraternité, de la paix, du présent et du futur en général. Pour ce faire, il est temps de remettre en cause la base néolibérale de notre politique agricole. La gauche, les Verts et les associations de l’environnement ne peuvent construire du durable sur ce fondement néolibéral mondialisé.

L’agriculture doit s’installer dans la souveraineté démocratique et bénéficier d’une régulation des marchés afin de pouvoir décider de son avenir. Par ailleurs, le monde agricole doit pouvoir s’appuyer sur cette majorité de citoyennes et citoyens qu’il craint et combat iniquement aujourd’hui, de peur de voir passer les initiatives anti-pesticides, et doit leur proposer un projet qui va à la rencontre des attentes sociétales et qui redonne sens, grandeur et revenus au paysannat et au pays.

Voter oui à l’initiative «pour une suisse libre de pesticides de synthèse» va de soit. L’initiative «pour une eau potable propre et une alimentation saine» mérite l’abstention car elle fragmente l’agriculture en deux, laissant libre cours à une agriculture intensive qui souillerait toujours l’eau.

Notre invité est paysan à la Ferrière (BE) et ancien président d’Uniterre Jura-Jura bernois.

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