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C’est qui, une ville? Nous!

L'Impoligraphe

C’est quoi, une ville? un espace bâti, une histoire, un territoire politique, oui, bien sûr. Mais se demander «c’est quoi, une ville?», c’est mal se poser la question. Bien se la poser, c’est se demander «c’est qui, une ville?» Parce qu’une ville, c’est d’abord, toujours, surtout, des gens. Des habitantes et des habitants. Une ville, c’est un peuple. «Celles et ceux qui.» Qui ont des droits politiques ou n’en ont pas, ou ne les ont pas tous. Qui ont une adresse ou qui n’en ont pas, mais qui sont là, même sans adresse. Qui ont des papiers ou qui n’en ont pas, mais qui aussi sont là, même sans papiers. Qui sont riches ou qui sont pauvres, ou ni l’un ni l’autre. Qui croient au ciel ou qui n’y croient pas. Des gens, donc. Tous les gens possibles et imaginables. Des vraies gens, quoi.

Ces gens, dans l’ancienne République genevoise, on les avait répartis en trois classes: les citoyens (forcément des hommes, forcément propriétaires, forcément protestants), qui disposent de tous les droits politiques; les natifs et les natives, qui sont né·es à Genève mais n’en ont pas la citoyenneté et ne disposent donc que des droits civils; les habitants et les habitants qui sont né·es ailleurs, qui vivent, travaillent et paient des taxes ici, mais n’ont aucun droit politique et pas tous les droits civils. Les révolutions genevoises (et la première révolution française) ont aboli cet ordre de classes-là. Parce que deux siècles après cette abolition, on se retrouve toujours avec des citoyens (et désormais des citoyennes), des habitantes et des habitants. Et des sans-statuts. Une ville, c’est toujours toutes celles et ceux qui y sont. Tout le monde, toujours «celles et ceux qui»… Celles et ceux à qui nous voulons proposer une carte attestant qu’ils sont habitant·es de nos villes.

Une carte d’habitant·e, une carte de ville, une «city card» n’est pas une carte d’identité, c’est une carte d’existence. Elle ne donne pas un droit de vote, ni un droit de résidence, elle donne un droit à la ville. Elle n’accorde pas un statut, elle constate une évidence. Et elle n’est pas réservée aux «sans-papiers» (la leur réserver, ce serait leur proposer une carte d’auto-dénonciation, ou de traçage), elle est proposée par une ville à toutes celles et tous ceux qui y vivent – y compris celles et ceux qui y vivent sous les ponts, dans les parcs ou les abris PC. Et aux banquiers privés, aux traders de matière première, aux vendeurs de montres de luxe et aux fonctionnaires internationaux. Et, entre les un·es et les autres, au vulgum pecus. Vous et moi, quoi. Enfin, surtout vous…

C’est ainsi que la conçoivent les villes suisses (Zurich, La Chaux-de-Fonds) qui en ont accepté le principe, ainsi que celles et ceux qui en ont fait ou vont en faire la proposition à leurs villes (Fribourg, Bienne, Lausanne, Berne, Porrentruy, Delémont… et Genève). La Ville de Zurich a pris soin de demander un avis de droit: la création de sa city card est-elle conforme au droit fédéral? La réponse est qu’elle est conforme et que la Ville de Zurich peut aller de l’avant. Comme les autres villes. Un mouvement est en train de naître dans les villes de ce pays et nous voulons en être avec celles et ceux qui avancent dans la même direction: celle d’une ville appartenant à toutes celles et tous ceux qui y vivent.

A Genève où, il y a un peu moins d’un an, la revendication d’une «carte d’habitant·e» avait été posée lors d’une manifestation antiraciste, la proposition en a été faite sous la forme d’une motion socialiste (M-1596) au Conseil municipal. Elle permettrait un accès universel à toutes les prestations, à tous les services et institutions de la Ville, ainsi qu’aux lieux culturels, sportifs, sociaux, mais aussi à des commerces privés si tel est leur souhait. Elle permettrait l’identification de ses détentrices et détenteurs, s’ils ou elles sont dépourvus d’autres documents les identifiant. Le cas échéant, elle permettrait de bénéficier de gratuités ou de tarifs réduits réservés aux habitants et habitantes de la Ville. Avec ou sans papiers.

Il s’agit donc de simplifier la vie de toutes et de tous et de faciliter la mise en valeur de leurs droits. Y compris des droits de celles et ceux qui n’ont pas de statut légal – ce qui suscite déjà, par réflexe, l’opposition de la droite de la droite: dès que des sans-papiers peuvent bénéficier d’une décision municipale ou cantonale, elle est contre. Elle était contre Papyrus, contre le crédit d’aide aux précaires accepté en votation le 28 mars, elle est contre l’ouverture des hébergements d’urgence aux sans-papiers, elle sera contre l’introduction à Genève, commune par commune, d’une carte d’habitant·e qui ne les exclurait pas d’emblée. Comme s’ils et elles n’étaient pas là. Mais elles et ils sont là. Comme nous. Et font nos villes, toutes nos villes, avec nous.

Wir alle sind Bern, proclament nos amis bernois? Nous tous sommes Genève, voulons-nous compléter.

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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