Trump face à la justice
A près de trois jours de prendre la porte, Donald Trump pourrait très vite se retrouver dans le collimateur de la justice. Une première pour ce président, qui se distingue déjà de ses prédécesseurs pour avoir subi deux procédures de destitution (impeachment), dont la dernière est en cours.
Dans l’histoire des Etats-Unis, jamais un président sortant n’a eu à faire face à la justice pour des actes commis durant son mandat. Même Richard Nixon, le seul président à avoir démissionné, a bénéficié du pardon de son successeur Gerald Ford en 1974, le mettant à l’abri des poursuites fédérales dans l’affaire d’espionnage politique du Watergate.
Trump: fin de l’immunité
Reste que mercredi, une fois que Joe Biden aura prononcé son discours d’investiture à midi (18 h en Suisse), Donald Trump perdra son immunité. Et comme jamais personne avant lui n’avait poussé autant les limites morales et légales, le républicain devrait très certainement répondre de ses actes devant la justice. Notamment pour son implication dans l’attaque du Capitole, qui a fait cinq morts le 6 janvier.
Mercredi, Donald Trump perdra son immunité
«Le procureur de Washington DC étudie actuellement les preuves et les conséquences pénales d’une incitation à la violence. Si la liberté d’expression est un droit aux Etats-Unis, ni les discours de haine ni les discours violents ne sont autorisés. Ces questions vont donc hanter le président une fois qu’il aura quitté ses fonctions. Il aura à répondre d’une responsabilité pénale», avance Lara Brown, directrice de l’école supérieure de gestion politique de l’Université George Washington.
«Nous avons une longue histoire qui consiste à ne pas utiliser le pouvoir du gouvernement fédéral pour enquêter et punir ses opposants politiques. Cette norme doit être prise au sérieux», déclare au Los Angeles Times Elizabeth Wydra, présidente du Constitutional Accountability Center, un groupe juridique progressiste de Washington. «Mais l’anarchie de Trump est si flagrante, et si menaçante pour notre démocratie constitutionnelle, que le laisser échapper à sa responsabilité pourrait être encore pire pour le pays.»
Des affaires graves
Administrateur du Cercle France-Amériques, président du Think Tank Fides, le forum sur les interactions entre le droit, l’économie et la société, Bertrand du Marais relève: «Des officiels parlent, dans l’attaque du Capitole, d’incitation à l’émeute, à la sédition. C’est un crime très grave. Et je pense qu’est en train de se produire là un retournement en faveur de poursuites.» Ce spécialiste du système juridique et administratif américain ajoute: «Non seulement l’offense est publique, mais elle vient aussi – et surtout – porter atteinte à l’unité de l’Etat et au caractère sacré des pouvoirs constitutionnels.»
«Des officiels parlent, dans l’attaque du Capitole, d’incitation à l’émeute, à la sédition. C’est un crime très grave»
Bertrand du Marais
Une autre affaire pourrait rattraper Trump: en 2019, lors de la première procédure de destitution liée à l’interférence russe dans l’élection de 2016, beaucoup d’observateurs ont considéré que le président avait menti sous serment. «C’est le perjury, ou parjure: quand vous mentez sous serment devant le Sénat ou une juridiction, c’est également considéré comme un crime très grave aux Etats-Unis», rappelle Bertrand du Marais. Dans cette même affaire, Donald Trump avait été soupçonné d’entraves à la justice. La prescription pour ce genre de délit étant de cinq ans, les poursuites pourraient reprendre une fois que son immunité tombera.
Enfin, au niveau fédéral toujours, il y a cet incroyable coup de fil passé le 2 janvier au secrétaire d’Etat de Géorgie Brad Raffensperger: Donald Trump lui demandait, ni plus ni moins, de «trouver» quelque 11 780 voix qui lui auraient permis de gagner dans cet Etat face à Biden. En dehors des affaires fédérales, Trump traîne plusieurs casseroles d’avant son mandat, au niveau des Etats – New York notamment –, pour des histoires de fraudes fiscales ou d’agressions sexuelles.
Peine de prison possible
Au final, le président sortant pourrait-il un jour se retrouver derrière les barreaux? «Comme les crimes (au niveau fédéral, ndlr) supposés sont de très haut niveau, ils entraînent forcément des peines de prison. Mais il pourra toujours, comme dans 95% des poursuites pénales aux Etats-Unis, passer par le plea bargaining, c’est-à-dire négocier avec le procureur une peine qui lui évite d’aller en procès», avance Bertrand du Marais. «Cela dit, s’il doit négocier une somme cumulée de plusieurs centaines d’années de prison, je ne pense pas qu’on le laisse sortir au bout de six mois.»
«Trump s’est fait du mal à lui-même et à son parti»
Lara Brown
Le fait de voir toutes ces entités étatiques et fédérales enquêter sur Trump conforte Lara Brown dans l’idée que le président n’échappera pas à son destin pénal. La politologue ajoute: «Les présidents qui ont effectué les transitions avec grâce ont toujours bénéficié d’une sorte de réhabilitation. Ceux qui ne l’ont pas fait ont essentiellement été méprisés et rejetés. Trump s’est fait du mal à lui-même et à son parti: il restera un président à mandat unique, qui aura perdu sa réélection et qui aura également perdu la Chambre des représentants et le Sénat au détriment des républicains. C’est ce que l’Histoire retiendra de lui.»
COMMENTAIRE
La justice doit donner le coup de grâce
Donald Trump ne réussit plus à gagner. Il ne sait pas perdre non plus. On lui a «volé la victoire», répète-t-il comme un vieux 33 tours rayé depuis sa déroute à la présidentielle. Le locataire congédié de la Maison Blanche n’a jamais reconnu sa défaite. Il restera dans le déni jusqu’au bout de son mandat qui a tourné à l’humiliation. Il estime n’avoir rien à se reprocher dans l’attaque tragique du Capitole, lui qui a allumé la mèche avec sa rhétorique incendiaire aux accents fascistes.
Le président sortant n’est plus ce branquignol qui faisait encore sourire la galerie en 280 caractères. Ça, c’était avant la crise sanitaire. Donald Trump a révélé depuis tout l’étalage de son talent en termes de cynisme et d’impéritie. Il a non seulement passé ces derniers mois à saper les fondements de la démocratie, mais il a aussi beaucoup de morts sur la conscience entre les cinq personnes décédées au Capitole et une partie des victimes du Covid-19.
Est-il le pire président de l’histoire américaine, même devant James Buchanan ou Warren Harding? Est-il hors compétition? Donald Trump a en tout cas été si mauvais qu’il pourrait être le premier à être «viré» deux fois: d’abord par le peuple et ensuite par les élus via la deuxième procédure de destitution qui le rendrait inéligible. Banni des réseaux sociaux qui lui ont servi de mégaphone pour entraîner une partie la population dans son délire, lâché par de fidèles élus, il a creusé sa tombe politique. Au point de devenir un boulet pour son propre clan. Isolé, Donald Trump n’a pas perdu sur toute la ligne. Il peut partir, à reculons, avec la double satisfaction de laisser un pays dans le chaos et d’y avoir répandu le poison du populisme qui circule aussi bien que le SARS-CoV-2.
Sanctionné dans les urnes pour l’ensemble de son œuvre, le milliardaire reste toxique. A la justice de donner le coup de grâce. Thierry Jacolet
Son pouvoir politique reste considérable
Quelle porte de sortie reste-t-il à Trump? L’autopardon? Les experts américains s’accordent à dire que ce n’est juridiquement pas valable. Le pardon? Ce serait une belle ironie que Joe Biden lui accorde la grâce. Ce n’est pas exclu, le président élu ayant à cœur de réunifier le pays plutôt que de le diviser davantage. L’exil? «Dans ce cadre-là, on parlerait plutôt de fuite», avance Bertrand du Marais, administrateur du Cercle France-Amériques. Encore faut-il que Trump trouve un pays qui n’ait pas de conventions d’extradition avec les Etats-Unis. Comme la Russie ou la Chine par exemple… «Mais je ne m’imagine pas qu’il fuie. Je pense au contraire qu’il va réserver beaucoup de surprises.»
Contrairement à beaucoup d’hommes politiques des Etats-Unis, Trump n’a pas fait sa carrière dans l’armée, au sein d’une grande entreprise ou sous la hiérarchie d’un board. «C’est lui le board. C’est un «fils à papa» qui n’a jamais été sous l’autorité de quiconque, qui n’a pas eu à rendre de comptes. Donc psychologiquement, c’est quelqu’un pour qui il est complètement baroque d’avoir à rendre des comptes. Et on l’a vu tout au long de son mandat», rappelle Bertrand du Marais. «L’autre point important à relever, c’est qu’il a eu quand même 75 millions d’électeurs qui ont voté pour lui. Il a un pouvoir politique tout à fait considérable. Je ne le vois pas abandonner le combat politique. C’est d’ailleurs, autant pour les démocrates que pour les républicains, le plus gênant. Garde-t-il la mainmise politique pour ses enfants, voire son gendre? Je ne le sais pas. Je pense qu’il pense avant tout à lui.» KP