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Protéger la culture dans la durée

«La culture court le risque d’être durablement reléguée au second plan par les autorités.» Prédisant une «hécatombe irréparable» pour des pans entiers du secteur culturel, Emmanuel Deonna estime qu’une modification de la loi d’urgence Covid-19 s’impose.
Covid-19

Les images de chalands investissant en masse le pléthorique magasin Ikea d’Allaman et celles des attroupements de skieurs aux télécabines de nos stations de montagne ont heurté une partie de l’opinion publique et de nombreux acteurs et actrices culturelles.

Comme la grande majorité des branches de l’économie, un nombre très important de professionnel-le-s de la culture ont été touchés de plein fouet par la Covid-19. Cependant, pour eux, les effets de la pandémie, plus pernicieux encore, se font sentir de manière particulièrement cruelle. Ils ont réclamé, à juste titre, la réouverture partielle des cinémas, des théâtres et des salles de concert, dans le respect des règles sanitaires. Après l’avoir obtenue grâce une pression conjointe exercée au niveau des cantons romands, ils se sont vu signifier leur refermeture pour une durée indéterminée.

Vue comme un luxe réservé aux temps de prospérité économique, la culture court le risque d’être durablement reléguée au second plan par les autorités. Or celle-ci doit être reconnue comme un droit fondamental et inaliénable en tout temps. Elle ne doit pas être considérée à l’aune des critères de la rentabilité et de l’utilité. L’ensemble de l’écosystème culturel – théâtres, musées, galeries, cinémas, salles de concerts, etc. – paie un prix extrêmement lourd pour cette pandémie. Pour de nombreux membres de la communauté des artistes et de celles et ceux qui promeuvent et diffusent leur travail, le contexte sanitaire exacerbe une précarité qui existait déjà bien avant le coronavirus.

A l’instar d’Action Intermittence, les associations professionnelles, regroupées au sein des faîtières de leurs branches aux niveaux cantonal et national, avaient pris la peine d’en alerter les décideurs dès le début de la crise. Depuis de nombreuses années, elles plaident avec énergie et conviction pour une vraie protection sociale pour les artistes. L’annulation ou le report des productions ont des effets dévastateurs sur l’ensemble de la chaîne de valeurs culturelle. L’impossibilité de reprogrammer des événements ou de réunir des équipes dispersées et affaiblies par la pandémie bloque déjà et va interrompre durablement le flux des productions et des coproductions. Cette situation d’engorgement complique atrocement l’établissement des calendriers et la planification des budgets.

Les réductions d’horaires de travail (RHT) ont été réintroduites pour les employeurs et employeuses qui engagent des personnes sous contrat à durée déterminée. Mais cette mesure, indispensable en premier lieu pour les petites structures qui n’ont pas de fonctionnement avec des subventions à l’année (hors institution) ne comble pas dans la durée la fragmentation des temps de travail pour les personnes qui n’ont pas de possibilités de renouveler un contrat et qui ne pourront pas être engagées à l’avenir. Cette situation dure depuis mars 2020 et annonce une hécatombe irréparable.

Sans le déploiement de nouvelles mesures de soutien ambitieuses et imaginatives, les intermittent-e-s, mandataires ou indépendant-e-s ne pourront pas survivre à cette crise.

En ce qui concerne l’assurance-chômage, le délai-cadre d’indemnisation, limité à deux ans, doit absolument être prolongé. Les douze mois ou dix-huit mois d’activité nécessaires pour remplir les conditions relatives à la période de cotisation devraient en tout cas pouvoir être réalisés dans les quatre ans qui précèdent le début d’un nouveau délai-cadre d’indemnisation.

Parmi les recommandations législatives proposées par les organisations professionnelles de la task force culture nationale aux Chambres fédérales, citons notamment la mise en place d’un fonds de revitalisation pour assurer une indemnisation complète en cas d’annulation d’événements culturels afin d’éviter que les organisateurs ne renoncent à l’organisation ou la mise en œuvre d’événements. L’indemnité de chômage partiel pour les travailleurs à faible revenu devrait passer à 100% au lieu de seulement 80%. En tout état de cause, une modification de la loi d’urgence Covid-19 est plus que jamais nécessaire.

* Député au Grand Conseil genevois, PS.

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