Le tournant du 6 janvier ?
Il y aura, aux Etats-Unis, un avant et un après 6 janvier 2021. Quelles que soient les conséquences de la téméraire occupation du Capitole, la démocratie étasunienne apparaît à un tournant. Jamais, depuis un siècle et demi et la Guerre de Sécession, la superpuissance n’a paru aussi fragile. Ni les deux guerres mondiales ni les crises économiques ni même les assassinats des Kennedy n’avaient ébranlé les institutions fédérales comme l’ont fait les quatre années de mandat de Donald Trump. Mercredi encore, le président se disait prêt à tout pour défendre sa «victoire» et exhortait ses partisans à livrer bataille, alors que les jeux institutionnels étaient faits et que même Mike Pence, son vice-président, l’avait lâché.
Les Etats-Unis sont profondément divisés, on le sait. D’autres pays connaissent cela; rien d’irrémédiable… A moins que le consensus institutionnel ne soit brisé. Lorsque l’on ne parvient plus à s’accorder sur les règles de la cohabitation, lorsque la confiance est rompue, que les rumeurs et les opinions à l’emporte-pièce servent de vérité jusqu’au sommet des états-majors, la société est au bord du précipice. Sans doute les Etats-Unis ont-ils les ressources pour surmonter cette crise ponctuelle. Mais inverseront-ils la tendance de fond? Le choc des images du Capitole pris d’assaut pourrait servir d’antidote, d’alarme ultime.
Cela devient urgent. Car si Donald Trump a attisé comme rarement les tensions sociales, le fossé étasunien se creuse inexorablement depuis une quarantaine d’années. Quatre décennies de néolibéralisme, quatre décennies de mondialisation ont laminé le peuple étasunien et servi de terreau aux mouvements sectaires et haineux, à la recherche d’un bouc-émissaire plus saisissable que le capitalisme transnational ou d’une justification politique à leur séparatisme social et économique. La montée en force du Tea Party, les discours anti-Washington et complotistes ont été les signes avant-coureurs du trumpisme et ne disparaîtront pas avec leur champion actuel. La facilité avec laquelle Donald Trump, malgré ses excès, a mis le Parti républicain à sa botte prouve que le fruit était mûr.
Dès son investiture, Joe Biden devra faire un ménage approfondi dans les services de sécurité et l’administration fédérale qui ont permis l’impensable assaut contre le Capitole. Le combat contre les droites ultra dans le reste de la société sera, lui, autrement plus difficile.