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Au-delà des urnes, la force de frappe de la société civile

Le résultat du scrutin de l’initiative sur les multinationales responsables est révélateur de la vigueur de la société civile en tant que levier de changement politique, selon Nadia Boehlen.
Suisse

Bien qu’elle ait été balayée par les cantons, l’initiative pour des multinationales responsables a révélé la force de frappe de la société civile. Elle était élaborée sur un équilibre particulièrement judicieux entre deux axes. Le premier introduisait le devoir des entreprises de minimiser le risque de violations des droits humains et de dégâts à l’environnement sur l’ensemble de leurs chaines d’approvisionnement. Le second prévoyait la possibilité de plaintes civiles en Suisse pour des violations que les multinationales (ou les entreprises qu’elles contrôlent directement) commettent à l’étranger. L’initiative a convaincu une majorité (50,7%) de la population. Ce score historiquement élevé pour une initiative dite de solidarité internationale a placé l’exigence d’une responsabilité accrue des acteurs économiques au sommet de l’agenda politique suisse.

Le score de l’initiative atteste la vigueur d’une société civile capable de fonctionner comme levier de changement politique sur des thèmes de société fondamentaux. Que ce soit dans le cadre de mobilisations en faveur du climat, de l’égalité entre genres ou des droits des personnes LGBTI+, d’autres objets politiques portés par la société civile, notamment par son avant-garde juvénile, se reflètent désormais dans notre ordre institutionnel.
En témoignent les récents gains électoraux des Verts, le rejet en votation populaire de la loi fédérale sur la chasse ou l’adoption par le parlement de celle sur le CO2. En témoignent également la représentation accrue des femmes dans ce même parlement, la demande que porte une partie d’entre elles en faveur d’une réforme de la loi pénale en matière de sexualité ou la récente décision prise par le Conseil des Etats pour une égalité devant la loi des couples de même sexe.

Au-delà du politique, les propositions de la société civile influent sur notre ordre juridique et questionnent notre architecture institutionnelle. Ainsi, l’action des militant-e-s du climat a introduit la notion de danger imminent en lien avec le réchauffement climatique devant les tribunaux. Et la votation sur les multinationales responsables repose avec acuité la question de la légitimité de la règle de la double majorité telle qu’elle fonctionne actuellement. Une double majorité qui donne un poids disproportionné aux petits cantons ruraux de Suisse centrale et orientale aux dépens des villes, de la Suisse romande et… des causes progressistes.

Enfin, même si cela semble difficilement mesurable pour le moment, les combats qui mobilisent la société civile produisent des mutations culturelles. Les jeunes qui se sont révolté-e-s contre les formes traditionnelles d’autorité à la fin des années soixante ont initié de profonds bouleversements de valeurs et des réformes dont nous sommes les héritiers: lois sur la contraception et l’avortement, libération sexuelle, préoccupations écologiques, défense des consommatrices et des consommateurs. Aujourd’hui, les grands mouvements de militance féministes, en faveur du climat ou d’entreprises aux pratiques d’affaires respectueuses s’agrègent et se renforcent les uns les autres pour œuvrer avec succès à une société plus juste, plus équitable, moins patriarcale.

* Porte-parole d’Amnesty International Suisse.

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